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symptômes de l’une de ces maladies morales communes aux époques de transformation intellectuelle. En des temps de forte discipline, les écrivains dont l’imagination est travaillée par cette fièvre eussent été des ames sensibles, pastorales et romanesques : ils se fussent résignés à la nécessité de rester incompris, en se réfugiant dans le sein débile et infécond de la poésie intime ; mais, jetés sans force d’esprit au milieu d’une société sans foi d’aucune nature, entraînés par les événemens, surexcités par la vanité, ils se sont laissé emporter par-delà les limites où la raison n’habite plus, et de là ce débordement d’excentricités apocalyptiques, cet apostolat en mascarades dont ils nous donnent parfois le spectacle. Leur sort est peut-être moins risible que digne de compassion.

Eh quoi ! faut-il donc appeler sur eux la pitié, lorsqu’on les voit s’égarer si complaisamment dans les combinaisons extra-sociales où ils s’engagent après tant de sectes antiques et modernes, également oubliées ? Faut-il rester spectateur sans colère de ces saturnales de la pensée où l’imagination, dans l’attirail le plus vulgaire, empruntant le langage de la trivialité, se donne à l’égard du bon sens et de la raison le plaisir des esclaves insultant leurs maîtres ? Assurément, s’il se présentait quelque comique de la famille d’Aristophane qui voulût, pour le besoin du temps, ressusciter la comédie politique, et qui, comprenant de la bonne manière les Nuées, les Harangueuses et les Grenouilles, sût en approprier l’esprit à nos mœurs, l’on n’y pourrait trouver d’inconvénient. À défaut de cet Aristophane qui sans doute se fera regretter long-temps encore, à défaut de cette vengeance comique que la société serait en droit d’exercer, et pour laquelle notre littérature débile n’a pas assez de verve, ce qui reste de bon sens à notre époque peut encore suffire pour faire justice de toutes ces intempérances des novateurs contemporains.

Je voudrais cependant, pour le plaisir de mettre un instant la littérature de cette école à la fois matérialiste et mystique en regard des efforts sensés faits par des esprits plus sains dans l’intention de rétablir les vraies notions du devoir et du droit, je voudrais prendre, parmi ces apôtres de l’église de l’avenir, quelques-uns des plus graves, de ceux qui ont écrit avec le plus de vogue et ont eu davantage cette ambition de faire arriver leurs idées jusqu’au peuple sous une forme choisie à dessein. Je connais deux de ces écrivains, entre lesquels j’aperçois tout d’abord une différence profonde quant aux idées et quant au style, et qui l’un et l’autre, avec des facultés inégales représentent ce qu’il y a de populaire dans la littérature socialiste. Je trouve attachés au nom de l’un mille souvenirs charmans, où l’art s’allie au romanesque et à l’originalité. Les hommes de notre génération n’oublieront point tant d’œuvres attrayantes, car elles ont fait les délices de notre adolescence.