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Ce qui a servi le plus le prince de Metternich dans la carrière diplomatique, c’est la mémoire vraiment merveilleuse dont il est doué. Les propos les plus insignifians de l’homme qu’il veut pénétrer se gravent dans son esprit, s’y coordonnent, s’y complètent l’un l’autre, et jettent plus tard des lueurs inattendues sur les propos plus graves dont il a intérêt à bien apprécier la portée. Le prince a dans son cabinet d’énormes liasses de manuscrits couverts de cette écriture ferme, arrondie et espacée, qu’il a gardée jusque dans la vieillesse, et qui ne sont que la reproduction textuelle des nombreuses conversations dont il a pris note depuis quarante ans. Quelle mine inépuisable pour la biographie ! Le plus volumineux de ces manuscrits est le récit d’une conférence de sept heures que le prince de Metternich eut à Paris avec Napoléon. Le prince raconte avec une satisfaction mal déguisée un des incidens de cette entrevue. La conversation, d’abord calme des deux parts avait bientôt tourné, du côté de l’empereur, au ton d’une irritation croissante, et que l’impassibilité respectueuse, mais obstinée, du diplomate finit par exaspérer. Dans un accès de vivacité, Napoléon lance violemment à terre on chapeau, qui va s’arrêter aux pieds de M. de Metternich : Celui-ci y jette froidement les yeux et ne se baisse pas pour le ramasser. Il est évident, pour qui l’écoute, que le politique allemand est moins fier d’avoir fait plier la puissance napoléonienne que d’avoir refusé de plier lui-même devant la vanité d’un empereur.

On a souvent comparé M. de Talleyrand et M. de Metternich : ils se ressemblent par le bon mot, par certain tour d’esprit doucement moqueur de toute théorie prétentieuse et de tout sentiment ampoulé, à cette différence près que c’est surtout la saillie qui éclate dans les bons mots du premier et le bon sens dans ceux du second. Il n’y a, du reste, que « peu ou point de rapports d’idées entre M. de Talleyrand et M. de Metternich. M. de Talleyrand était sceptique, et M. de Metternich est convaincu ; où le premier ne voyait que les hommes et les choses, le second voit surtout les principes. Le diplomate français s’attelait volontiers au fait, quel qu’il fût, sauf à relayer ailleurs quand le fait était usé ; le diplomate autrichien savait, au besoin, s’écarter pour laisser passer le fait, sûr qu’il était de retrouver tôt ou tard sa place. Les différences de milieu sont pour beaucoup dans cette différence de tactique. M. de Talleyrand a traversé trois régimes, dont chacun avait ses nécessités distinctes, tandis que M. de Metternich, protégé par l’immobilité proverbiale de l’Autriche contre tout déplacement intérieur, a pu représenter, quarante ans de suite, le même intérêt en face des vicissitudes politiques du continent. L’un dépendait de l’occasion, l’autre avait pour auxiliaire le temps. L’immense et brusque secousse qui a jeté M. de Metternich dans l’exil n’a pas altéré d’ailleurs son patient optimisme. « Quand le principe