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ou patente de l’église et de l’école, et restaient encore debout dans la commune, ils seraient à chaque moment battus en brèche par l’esprit railleur et sceptique que le fils du paysan rapporte de la caserne de son tour de France.

Il est vrai, bien que les populations agricoles, à l’exception peut-être de celles de quelques départemens de l’ouest et du midi, soient sous l’empire de cette indifférence religieuse, elles ne cessent pas de croire, si vaguement que ce soit, à l’existence d’un Etre suprême. S’il est des hommes qui aient pris l’athéisme pour principe et pour règle de conduite, il ne faut point les chercher dans nos campagnes, au milieu des phénomènes qui, à chaque moment et durant toutes les saisons, révèlent à l’homme une puissance inconnue et mystérieuse au-dessus de toute puissance humaine. L’agriculteur ne travaille point sur une matière brute, à laquelle son intelligence, sa volonté et son bras, aidés de machines dont il connaît le secret, suffisent pour donner la forme. Il travaille de concert et concurremment avec une force indépendante de lui-même, et qui, indispensable pour féconder son labeur, peut aussi le stériliser. Cette force dépasse en effet quelquefois les espérances du travailleur et quelquefois les trompe ; elle intervient toujours. L’homme lui fournit les élémens, mais c’est elle qui crée et donne la vie. Le paysan laboure, sème et récolte ainsi sous une influence mystérieuse. La force créatrice reste vague pour son esprit, il ne sait pas toujours bien quel nom lui donner ; mais elle ne cesse pas d’agir sur son intelligence, et de l’entretenir dans une certaine curiosité qui la laisse ouverte à la foi religieuse. Curiosité féconde, si l’enseignement savait lui fournir la nourriture dont elle avait besoin ! Mais que songe-t-il au contraire à lui offrir ? — La théologie, qui ne satisfait point la raison, et le rationalisme, qui ne satisfait point le sentiment, sans compter que l’un et l’autre, grace à leur désaccord manifeste, grace à une égale ambition de régner isolés, semblent avoir entrepris de s’affaiblir et de se déconsidérer mutuellement aux yeux des populations.

Telles sont donc les causes du scepticisme et de l’indifférence dans nos campagnes. On voit que par l’enchaînement naturel des idées, en remontant des effets à la cause, les écrivains qui sont aujourd’hui aux prises avec le socialisme se trouvent nécessairement conduits dans ces régions ardues de la métaphysique où résident les sources du vrai et du juste, et d’où découlent les notions du devoir et du droit. Je ne reprocherai point à Mme Sand d’être restée étrangère à ces grandes préoccupations de l’idée religieuse. La pensée de l’art, cet entraînement poétique qui ressemble par tant de traits au sentiment religieux, enfin cette faculté d’intuition qui est un des attributs d’une grande sensibilité, tous ces instincts poussaient Mme Sand à méditer sur ces problèmes moraux de la destinée humaine et sur cette vaste idée de Dieu, qui