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la vénèrent ; mais substituer à l’idée de justice qui a inspiré ce sublime mouvement de 89 l’idée de révolution, ce n’est point seulement manquer de foi en la justice, c’est mettre le glaive aux mains du scepticisme ; ce n’est pas seulement ruiner telle ou telle institution, C’est stériliser tout principe ; ce n’est pas préférer la république ou le socialisme à la monarchie, c’est établir au gouvernement la souveraineté de la force. Plus malheureux que les peuples barbares, qui ont du moins pour ressources de robustes préjugés, le respect de leurs traditions bonnes ou mauvaises et l’âpre vigueur des caractères simples, sous l’empire prolongé de l’esprit révolutionnaire, nous retomberions, nous, nation vieille et de mœurs raffinées, dans cet état de décomposition politique et morale dont Robespierre lui-même s’effrayait, lorsqu’il forma le dessein d’ériger le déisme en religion positive. Or, l’esprit révolutionnaire, bien différent de l’idée de progrès, d’innovation et même de république, est un ennemi incessamment actif, qui ne cesse de ronger les institutions et les consciences. Et si, pour rendre à la loi l’autorité dont elle veut être entourée, si, pour en finir une bonne fois avec l’indifférence religieuse et politique, nous devons attendre l’avènement de la philosophie populaire de M. Cousin, tout éloquent que soit l’illustre fondateur de l’éclectisme, la société peut être d’ici là amenée au bord de l’abîme.

Que l’on réfléchisse bien aux difficultés de l’existence dans laquelle nous entrons. D’une part, la pratique de nos institutions nouvelles, pour être fructueuse, exige de l’homme plus de vertus de toute nature, en le privant de l’appui des fictions légales et des machines savantes inventées pour suppléer à la faiblesse humaine ; d’autre part, elle rend plus libre le jeu des passions : elle les surexcite, elle leur fournit incessamment le prétexte d’agiter l’opinion et le moyen d’ébranler la loi elle-même. En un mot, le propre de la démocratie succédant à une royauté est de faire un pouvoir moins fort pour une société plus difficile à gouverner. C’est un acte de foi dans la nature humaine, et, s’il est vrai qu’il y ait de la timidité intellectuelle à s’en effrayer, il y aurait aussi de l’étourderie à n’en point remarquer les inconvéniens. Non, si nous voulons assurer à la société une existence tranquille et féconde sous l’empire des institutions démocratiques, ce n’est point trop de faire appel à toutes les forces morales dont le pays contient le principe et qu’il met à la disposition du législateur.

Il ne faut point oublier d’ailleurs que les théoriciens d’une nouvelle société, les apôtres du matérialisme et du mysticisme socialistes, convaincus ou passionnés, apportent dans la propagande de leurs doctrines de l’ardeur, de la ruse, quelquefois même de la puissance, de l’énergie et de la persuasion dans le sophisme. Ils ne parlent pas tous le vulgaire langage du Berger de Kravan. Quelques-uns savent que le vrai peuple