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commencèrent à se remuer. La physionomie politique du pays se dessina bientôt aux yeux des conquérans. Si la régence turque était renversée, des chefs puissans restaient debout dans les provinces : les uns, avec le secret espoir de remplacer Hussein-Dey ; les autres, ne songeant qu’à s’affranchir dans leurs commandemens ; les plus timides, appelant l’intervention de l’empereur du Maroc, leur souverain religieux. Au-dessous des ambitions personnelles s’agitaient des races hostiles, des instincts vagabonds et sauvages, dont le déchaînement sur plusieurs points allait produire l’anarchie.

Cette perspective, à la considérer froidement, eût été peu séduisante : elle eût montré à des hommes politiques une complication de difficultés, une période de luttes et de dépenses, sans compensation prochaine ; mais l’opinion publique a parfois des entraînemens si formels, qu’elle ne s’arrête plus aux difficultés du moment. L’opinion de la France se prononça nettement pour la conservation de l’Algérie ; Dieu fasse qu’elle ne se soit pas trompée !

Il fallut donc aviser aux moyens de se maintenir dans la position acquise, en attendant qu’un plan définitif sortît de la connaissance des lieux et des faits. Il semble qu’on a hâte de mettre à l’épreuve les divers systèmes d’établissemens. On s’arrête d’abord à l’idée d’instituer dans chaque province des chefs dévoués à la France. On essaie plus tard d’opposer les Turcs aux Arabes. On cherche une base plus large dans l’organisation des milices indigènes. On passe tour à tour par des phases de conciliation et de développement pacifique, et par des crises de violence et d’intimidation. La lutte entre les chrétiens et les musulmans est trop inégale pour se prolonger ; l’animosité est trop vive entre eux pour qu’une suspension d’armes soit de longue durée. Après plusieurs années de ce régime, notre domination était encore fort restreinte : en réalité, elle ne dépassait pas la portée de nos canons. Au surplus, on faisait peu de chose pour l’étendre. Dans les mouvemens de l’armée, à cette époque, rien n’annonce un plan d’invasion ; quand l’ordre est troublé sur un point, un corps s’élance pour châtier les rebelles, et il rentre au plus vite dans son cantonnement. Si l’on est conduit à prendre possession d’une ville, c’est par une nécessité de la défense, ou pour protéger des groupes qui recherchent notre appui ; c’est ainsi que nous occupons successivement, et, pour ainsi dire, malgré nous, Bone, Oran, Mostaganem, Bougie, Médéah, Constantine, sans parler des places secondaires.

Conserver une situation honorable et réduire des dépenses dont la métropole commençait à s’effrayer, telle était, en 1837, l’idée dominante : au fond de cette idée se cachait le découragement. Aussi accueillit-on sans hésiter l’offre de vassalité que fit l’homme en qui se personnifiait déjà la nationalité arabe. On dit légèrement en France