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que la destruction d’Abd-el-Kader n’était pas une œuvre qui pût être accomplie rapidement, et que, dans sa pensée, la campagne qui allait s’ouvrir n’était que le début d’une série d’opérations. Le maréchal prit l’offensive Dès qu’il eut reçu les renforts demandés. Pendant six mois, les engagemens avec les Arabes furent innombrables ; Abd-el-Kader apprit par des leçons de chaque jour que, malgré ses vingt mille cavaliers de goum, malgré les escadrons et les bataillons réguliers qui étaient son orgueil, il ne pourrait jamais tenir en ligne contre nous. Toutes les villes dont la prise avait été résolue furent enlevées. On n’y trouva que des maisons vides, à demi incendiées. De petites garnisons, laissées au milieu de leurs ruines fumantes, derrière quelques épaulemens relevés à la hâte, y arborèrent, y maintinrent le drapeau français, au prix de souffrances et de privations terribles, sans profit appréciable pour notre domination. De beaux faits d’armes qu’il serait juste de rappeler, des épisodes pleins d’intérêt au point de vue militaire, restaient trop souvent improductifs contre une population entièrement soulevée. Le jour ou une bataille rangée avait été gagnée contre l’émir, on apprenait qu’une tribu suspecte de sympathie pour nous avait été égorgée, ou qu’une troupe de cavaliers, poussant une pointe dans le Sahel, avait porté le ravage jusque sous le canon d’Alger. Rien ne peint mieux l’anxiété des esprits que les projets formés à cette époque de s’en tenir à une occupation restreinte, de protéger les travaux agricoles par un obstacle continu. On proposait d’enfermer, par une ligne de fossés et de parapets, un champ assez vaste pour suffire pendant plusieurs années aux besoins de la colonie civile. On a peine à croire aujourd’hui qu’un tel plan ait reçu un commencement d’exécution.

En résumé, après la rude campagne de 1840, nous avions conquis la plupart des villes ; mais, comme les Arabes et les Kabiles n’avaient pas là leurs biens, pas une tribu n’était encore atteinte dans ses intérêts positifs ; la population véritable n’était pas soumise. Abd-el-Kader, toujours vaincu, conservait l’avantage : il pouvait nous provoquer ou nous éviter, appuyé qu’il était sur ses établissemens lointains de Boghar, Thaza, Tekdemt, Saïda. Disposant des Arabes mobiles de la plaine, d’un refuge chez les Kabiles des montagnes, il se trouvait libre d’agir ou d’attendre, et, suivant l’idée qu’ont les Arabes du héros qui doit les affranchir, il était vraiment le maître de l’heure.

Une expérience de dix années avait démontré que la domination française ne peut être affermie qu’à la condition d’être généralisée : on se décida à compléter la conquête. Il était constaté que la stratégie européenne était insuffisante en Afrique. Il y avait urgence d’essayer un nouveau système de guerre contre un ennemi qui tirait sa principale force de son extrême agilité. Le général Bugeaud, qui avait attaché son nom à de beaux faits d’armes, et qui, d’ailleurs, avait émis sur la