Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/800

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps, l’état-major, l’artillerie, la cavalerie, le convoi, prennent dans l’intérieur du carré leur place habituelle. Un nouveau genre d’activité se développe. Les corvées s’organisent pour recevoir les distributions ordinaires et pour aller chercher l’eau, le bois et le fourrage. Les feux brillent ; la soupe ou le café se préparent ; l’heure du repos est arrivée ; le bivouac est assis.

La prévoyance de l’administration est merveilleusement secondée en temps de guerre, par l’industrie du soldat. La surexcitation de la lutte développe en lui une puissance, une lucidité d’instinct presque surnaturelles. Qu’après les fatigues d’une longue marche une colonne arrive au lieu de repos, les rangs sont rompus, la troupe s’éparpille. On voit alors les hommes se répandre dans la campagne, s’orienter, sonder l’espace, et s’accroupir, de temps en temps, pour saisir, dans une direction opposée aux rayons lumineux, des indices à eux connus : ce sont certains reflets, certains aspects de la végétation, nuances subtiles que la froide analyse ne pourrait peut-être pas caractériser, mais que le soldat apprécie par habitude et par instinct. Dès que le symptôme est signalé sur un point, on court, on frappe la terre avec les baguettes de fusil ou les bâtons de voyage ; si un bruit sourd indique une cavité, un cri de joie éclate : c’est un silos ! Eh peu d’instans, le grain, changeant de forme en passant de mains en mains, est réduit en farine au moyen de moulins portatifs, pétri avec du levain qu’on a toujours soin d’emporter, cuit dans des fours improvisés ou, plus simplement, sur des charbons, au moyen des gamelles, si bien qu’au repas suivant, on remplace joyeusement le biscuit par du pain frais.

Une colonne alerte et légère comme celle qui est décrite ici fait aisément six à sept lieues par jour, et, dans ce cas, elle opère une grande halte au moment de la plus forte chaleur pour prendre le café. Si l’étape est plus courte, en partant à quatre ou cinq heures du matin, on arrive au bivouac avant midi ; alors de petites haltes d’heure en heure suffisent pendant la route. Faut-il redoubler de vitesse, donner la chasse à des émigrations ou voler au secours d’alliés en péril ? les goums, la cavalerie, sont lancés en avant ; deux ou trois bataillons les appuient au pas de course ; les impedimenta suivent de loin sous bonne escorte. Ces trois fractions arrivent tour à tour au lieu du rendez-vous, les premières après avoir joint l’ennemi, la dernière à la nuit tombante, et l’on a franchi de la sorte une douzaine de lieues dans un jour. Enfin, dans des cas tout-à-fait exceptionnels, on a formé des colonnes de cavalerie et d’un ou de deux bataillons montés sur des mulets, avec une ou deux colonnes de ravitaillement qui opéraient sur leurs derrières. C’est le maximum de vitesse possible dans un pays où la nature du terrain et les conditions politiques ne permettent pas de négliger la solidité militaire inhérente à l’arme de l’infanterie.