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cet accroissement de la population indigène ; mais les mœurs musulmanes rendent une telle vérification très difficile. Il a fallu jusqu’à ce jour s’en tenir à des déclarations irrégulières et incomplètes, surtout en ce qui concerne les naissances : ainsi s’explique une invraisemblance qu’on remarque entre l’augmentation du nombre des indigènes dans les villes et l’infériorité du nombre des naissances comparativement à celui des décès. Suivant les tableaux de l’état civil, il y aurait eu en 1844, dans les familles musulmanes, 645 naissances pour 2,190 décès, et l’année suivante, 676 naissances pour 2,383 décès. Il est hors de doute que les musulmans, par sentiment de jalousie instinctive, s’appliquent à dissimuler la naissance de leurs enfans. Dans la race juive, où les mêmes préjugés sont moins puissans, les naissances déclarées sont en nombre bien supérieur aux actes de décès. Toutefois, les femmes étant beaucoup moins nombreuses que les hommes parmi les Africains comme parmi les colons européens, il faut reconnaître que la reproduction est insuffisante pour compenser les effets de la mortalité, et que l’accroissement de la population indigène, dans nos villes, résulte d’une attraction opérée par nous sur les hommes des tribus rurales.

C’est là un heureux symptôme dont la signification est d’autant plus favorable, que, depuis la conquête, les prix des alimens et des objets de consommation les plus nécessaires se sont élevés, en moyenne, au quintuple. Avant 1830, on pouvait acheter à Alger un bœuf pour 18 à 20 fr., un mouton pour 2 fr. 50 cent., un cent d’oeufs pour 1 fr. 20 cent., une pièce de volaille pour 50 cent, au plus. Cent oranges coûtaient 1 fr. La mesure de blé en usage dans le pays équivalait au taux de 6 francs l’hectolitre. Les prix baissaient encore, dans les villes secondaires, proportionnellement à leur éloignement et à leur importance. Aujourd’hui, la valeur des objets de consommation suit en général le niveau des marché européens. Cet enchérissement de toutes choses est la résultante de deux causes agissant en sens contraire : d’une part, les besoins de la population nouvellement introduite, besoins disproportionnés avec les ressources locales, et, d’autre part, la diffusion des richesses monétaires apportées dans le pays par les Européens. La perturbation jetée ainsi dans les habitudes de la vie matérielle est un fait favorable au principe de la conquête. Pour les fanatiques auxquels répugne tout contact avec les infidèles, l’équilibre entre les revenus et la dépense a été rompu, ils ont dû fuir le séjour des villes ; mais les hommes actifs et industrieux, en nombre beaucoup plus grand, ont été attirés par les chances avantageuses que leur offraient les besoins des conquêtes et le mouvement de la vie européenne : ils ont trouvé dans les profits d’un petit commerce ou dans des salaires élevés un dédommagement au surcroît de dépense que la civilisation leur impose : Ainsi, un simple phénomène économique, l’enchérissement des marchandises