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M. de Musset réunit, dans sa manière, les mérites les plus différens : par le bon sens et l’esprit, il est aussi Français que les écrivains de nos grandes époques ; par la fantaisie idéale, par ce poétique rayon dont il baigne les contours de sa pensée, il se rattache aux littératures modernes dans tout ce qu’elles ont d’aventureuse rêverie. Comme Hélène, sa poésie verse la joie au cœur et le sourire aux lèvres des vieillards, pendant qu’elle fait passer sur les fronts de vingt ans les brises tièdes et embaumées de la jeunesse, de l’illusion et de l’amour. Par Namona et la Coupe et les Lèvres, il touche à Byron ; à Régnier, par ce crû généreux et pur qui échauffe et vivifie la satire sur la Paresse. La Confession d’un Enfant du siècle est de la famille d’Adolphe et d’Obermann ; Barberine et Marianne donnent la main à Cymbeline, à Comme il vous plaira, aux plus étincelantes créations de Shakspeare. Enfin ses proverbes, remplis de distinction et d’élégance, accréditent M. de Musset auprès de la bonne compagnie, en même temps que ses ballades, d’un tour si leste et si cavalier, ont fait leur chemin et couru, le monde, portées sur les ailes rapides d’un refrain. Ainsi, l’heureux poète a sa part dans tout ce qui attire ou charme les imaginations contemporaines ; il s’est préparé toutes les voies, ouvert toutes les issues. Qu’il s’adresse aux étourdis ou aux sages, aux rêveurs ou aux positifs, il est sûr d’être écouté. Si, malgré les conseils de la vraie critique et les intérêts de sa gloire, la réalité l’effraie ; s’il ne se sent pas de force et d’audace à incruster un plomb brûlant sur les ridicules et les travers de notre temps ; s’il a quelque raison de respecter ces nouvelles faces de la vanité humaine, à la fois désorientée et fécondée par les austérités démocratiques ; s’il recule enfin devant ce rôle si grand, cette tâche si belle, d’être le poète comique d’une époque dont rien n’égale les comédies, il doit au moins, en poursuivant l’idéal ou le passé à travers les tristes préoccupations du réel et du présent, s’imposer une condition rigoureuse c’est de se montrer supérieur à lui-même, de se surpasser en se répétant, de donner à ses œuvres cette perfection, cet éclat auxquels rien ne résiste, et qui permettent à l’art, à la fantaisie, de rivaliser d’entraînement avec les plus entraînantes réalités.

Pour l’art moderne, dont M. de Musset est à nos yeux le plus aimable représentant, il n’y a pas de milieu : ou instruire ou charmer, avoir ou assez de vigueur pour se prendre corps à corps avec les monstres nouveaux dont le déluge démagogique a peuplé la terre, ou assez de magie pour ramener les imaginations attristées vers le radieux Éden des rêveries heureuses et des visions fleuries. Nous croyons M. de Musset au niveau de ces deux tâches, dont la moindre a de quoi contenter les ambitions les plus hautes ; mais, pour les remplir, il ne faudrait pas que cette maturité fût moins féconde que cette adolescence qui a tant promis, que cette jeunesse qui a tant donné. Si la critique a le droit de généraliser ses attributions et de faire un peu de morale, n’est-ce pas lorsqu’elle aperçoit chez des poètes justement aimés une tendance à s’oublier en des œuvres légères, parfois même à se compromettre sur des scènes secondaires, et à donner, par ces imprudences, un prétexte trop commode aux malveilans ?

Nous axions lieu de signaler récemment ; comme un désastreux symptôme de notre siècle, le culte de soi-même ; mais le respect de soi-même est bien différent : l’un est aussi salutaire que l’autre est funeste, et peut-être est-il permis d’ajouter, sans trop de paradoxe, que c’est là encore une des maladies morales ce temps-ci, qu’on s’y respecte un peu moins à mesure qu’on s’y adore un peu