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a fallu assouplir notre pauvre langue française pour lui apprendre à chanter, d’une page à l’autre et sous cette forme concise, avec la rude et naïve vigueur du statuaire florentin, l’élan chevaleresque du poète d’Armide, la grace mystique de l’amant de Laure et l’idéale grandeur du visionnaire immortel de la Divine Comédie.

N’y a-t-il pas en ce moment quelque chose d’instructif et de piquant pour les peuples émancipés que tourmente ou égare l’excès même des biens qu’ils ont conquis, à voir le goût des lettres trouver une place et un refuge sous ces gouvernemens absolus contre lesquels l’esprit moderne aurait plus de raison de se révolter, s’il était lui-même plus sûr de modérer et de civiliser ses victoires ? M. le comte Ouvaroff, ministre de l’instruction publique en Russie, vient de publier des Esquisses politiques et littéraires. Dans ce livre, la politique coudoie la littérature, mais d’une façon fort inoffensive, et sans que celle-ci y perde de sa courtoisie ou celle-là de sa sécurité. Une appréciation des vues de Napoléon sur l’Italie, une spirituelle notice sur le prince de Ligne, un examen critique sur la fable d’Hercule, un discours académique sur Goethe, un mémoire sur les tragiques grecs, des impressions de voyage à Venise et à Rome, tels sont les divers morceaux dont se compose ce volume, et qui révèlent chez l’auteur une grande variété de connaissances, en même temps qu’un maniement très habile et très correct de notre langue. Penser et écrire ainsi, c’est, pour un étranger de distinction, s’unir à la France, à celle d’autrefois du moins, par la plus douce, et la plus solide des alliances celle du bon style, du bon sens et du bon goût.

C’est trop de pessimisme pourtant de ne parler que de la France d’autrefois à propos de ces qualités distinctives de l’esprit français. Il suffirait pour nous démentir de quelques-uns de ces travaux qui se poursuivent, se continuent, ou se réimpriment à travers tant de collisions bruyantes. Le huitième volume de l’Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers, contient un récit animé, entraînant, de cette guerre d’Espagne aux épisodes si dramatiques, aux conséquences si funestes, et, loin d’avoir rien perdu de sa verve, on dirait qu’en se multipliant sur tous les points d’attaque, cet esprit si pratique s’est retrempé, aiguisé et affermi. En même temps, l’éloquent initiateur de la critique moderne, M. Villemain, vient de publier une édition nouvelle de son Tableau de l’Eloquence chrétienne au quatrième siècle. Que de réflexions ne suggérerait pas ce bel ouvrage, qui semble rajeuni par les circonstances, par ces luttes d’opinions et de systèmes, moins enthousiastes, hélas ! mais aussi ardentes que dans ce monde du Bas-Empire, travaillé, régénéré, transformé par le christianisme ? Et quel guide plus sûr, à travers les différens théâtres de ces polémiques passionnées, que cet homme éminent qui a gardé, au milieu des variations de notre littérature, l’autorité magistrale, la place incontestée d’un écrivain du bon temps ? Tout près de lui, et comme si la voix du maître avait été réveillée par celle du plus brillant de ses successeurs, nous rencontrons M. Saint-Marc Girardin et le second volume de son Cours de Littérature dramatique. Nous n’avons pas à apprendre aux lecteurs de la Revue avec quel art M. Saint-Marc Girardin, renouvelant les procédés de la critique, renonçant à l’analyse aride et pédantesque des pièces de théâtre, va chercher dans le cœur humain, dans les diverses affections de l’homme, la source même de toutes les beautés dramatiques, la comparaison