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de la république, c’était, à nos yeux aussi, la date de son inauguration légale le 4 mai, et le projet ministériel ajournait jusque-là les réjouissances. L’assemblée, dans un esprit bien éclectique, a voulu tout concilier. Au lieu d’un jour férié, elle en a voté deux, le 24 février et le 4 mai ; elle a décidé qu’on se réjouirait le 4 mai, tout en faisant, le 24 février, quelque autre chose que de pleurer. Après la messe funèbre, nous avons donc chanté le Te Deum. Cela s’appelle d’après la loi « un service religieux commémoratif et d’actions de graces. »

De quoi donc, mon Dieu ! vous avons-nous rendu graces ? Et quels efforts plutôt n’avons-nous pas dû faire pour oublier d’où nous étaient sortis tant de maux, par où tant d’autres s’étaient aggravés ! Il est un mal entre tous que nous venons encore de voir s’étaler dans cette dernière occasion, et qui nous chagrine assez pour ne pouvoir nous en taire. C’est un mal que nous appellerions volontiers l’hypocrisie publique. On arrache un empire à la misère, on ferme les plaies de la guerre civile, on couvre avec le temps les ravages d’une peste ou d’une famine ; mais réparé-t-on jamais dans la conscience d’un peuple cette mortelle indifférence qui la glace au point de lui permettre le même air d’adhésion monotone sous tous les uniformes et devant tous les drapeaux ? Les révolutions qui se culbutent chacune à leur tour éteignent le sentiment du droit dans les cœurs : le droit d’hier n’est pas celui de demain ; la fête, par exemple, qu’on célèbre aujourd’hui glorifie des héros qui le jour d’avant auraient été des criminels, et M. Lagrange était tout-à-fait dans la vérité de notre temps, quand il soutenait à propos de la discussion des incapacités électorales qu’il n’y avait pas de crime en politique. S’il n’y a de crime nulle part, où donc est le devoir ? Et quand dans une société il est plus difficile encore de savoir où trouver son devoir que de le pratiquer, il arrive alors aisément que l’on prend son parti de n’en plus du tout reconnaître. La vie publique devient ainsi une vie sans devoir, c’est-à-dire sans but comme sans règle, et l’on n’a plus d’adoration que pour le fait, parce que le principe manque. On travaille de son mieux à organiser, à constituer le fait jusqu’au moment où il disparaît sous un autre, et à ce moment on s’incline devant celui-là avec le même visage et la même docilité que devant le premier, on le salue aussi bas, on lui débite les mêmes professions de foi ; il n’y a rien de changé pour cette ame vagabonde d’un peuple banal, il n’y a qu’un fait de plus. L’ame d’un peuple peut-elle se relever de cet état permanent de désaffection plus ou moins dissimulé sous le masque perpétuel des mêmes convenances ? L’hypocrisie publique est-elle un vice dont une nation guérisse ? Voilà ce que nous nous demandions le 24 février, au milieu de cette foule froide qui remerciait officiellement la Providence de lui avoir donné la république sans la prévenir.

Puisque la république est là, cependant, il faut bien qu’elle marche. Aussi l’assemblée constituante est-elle maintenant tout occupée de la loi électorale qui doit compléter l’organisme politique. Étrange singularité ! il semble que la démocratie méconnaisse elle-même son principe une fois qu’elle est à l’œuvre, et n’en comprenne pas les nécessités. On a tant disputé sur la doctrine des incompatibilités parlementaires, que nous ne sommes pas tentés d’y revenir. Il est certain qu’il y a des postes où le fonctionnaire est trop indispensable pour avoir licence de les quitter et de prendre à volonté sa place dans la représentation du pays, qu’il sert autrement. Il est certain aussi que, dans un pays à la fois admi-