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ratif et démocratique, les fonctions publiques attirent à elles tout ce que la démocratie proprement dite a d’intelligences éclairées. Faudra-t-il donc les toutes du sein des assemblées publiques ? C’est ce que la constituante a résolu, sans apercevoir qu’elle limitait ainsi par trop arbitrairement l’exercice du suffrage universel. La constituante républicaine, nourrie des argumens qu’on ployait au service de la doctrine des incompatibilités sous le régime monarchique, n’a pas même pesé les réponses qui découlaient toutes faites de la situation nouvelle. Voilà comment il n’y aura guère, dans la prochaine assemblée, que de grands propriétaires ou de petits avocats pour faire cortège aux politiques de profession ; voilà comment il sera de plus en plus impossible d’avoir des discussions d’affaires, et comment, par conséquent, la souveraineté du pouvoir législatif et la prédominance du principe démocratique sont d’avance ébréchés par les volontés contradictoires de notre souveraine législature.

Il est vrai d’ajouter qu’à la faveur d’une distinction, d’ailleurs très fondée, entre le grade et l’emploi, on a traité les fonctionnaires de l’ordre militaire beaucoup mieux que les fonctionnaires civils. L’épée ne perd jamais chez nous tous ses privilèges ; puis c’est le propre de la république d’avoir toute sorte d’égards pour les capitaines, sans même quelquefois obtenir de retour. Ce régime particulier de liberté politique ne s’offusque pas d’être protégé d’un peu près. Les démocrates avancés, qui, nous en convenons, ne se plaisent pas à cette protection quand ils ne sont point eux-mêmes chargés de l’appliquer, ont pris fait et cause pour des intérêts qui les apitoyaient plus que celui du soldat. L’assemblée avait joué un mauvais tour aux voleurs ; elle les avait exclus par article spécial du droit d’être représentans. M. Pierre Leroux, qui est un homme d’amour et qui chante l’amour à tout venant, ne veut point d’une justice sans miséricorde, et, pour montrer à l’assemblée combien il fait mauvais de descendre ainsi sans rémission dans la vie privée des gens, il propose à son tour d’exclure les adultères de la représentation nationale. La revanche n’était pas mal trouvée. L’amour dans les sermons de M. Pierre Leroux étant surtout platonique, et lui-même n’ayant jamais aspiré au rôle de séducteur, son amendement ne l’embarrassait guère. La majorité de la constituante n’a pas voulu paraître moins vertueuse que le patriarche du socialisme. En haine du zèle avec lequel les bourgeois avaient puni la violation de la propriété, M. Pierre Leroux s’est donc porté le vengeur de la famille. La position était, en somme, plus adroitement prise qu’il n’appartient d’ordinaire « à notre bon ami Pierre Leroux, le plus inoffensif des hommes, » comme dit M. Proudhon ; c’est justice qu’il ait gagné sa partie, et nous l’en féliciterions davantage, s’il ne l’avait engagée par pur dévouement aux victimes de la police correctionnelle.

D’autres victimes également intéressantes jouissent, à ce qu’il paraît, d’une certaine faveur sur la montagne : ce sont les victimes du tribunal de commerce. M. Besnard et M. Luneau, deux personnes rangées, comme on sait bien, ne se figurent pas qu’on le soit moins qu’eux ; l’austérité de leur vie ne leur laisse pas même supposer qu’on puisse faire des dettes, et, si par malheur on en a fait, ils estiment qu’il est indispensable de les payer. Ils ont donc demandé et obtenu que l’indemnité de représentant fût déclarée saisissable, même en totalité. Il nous a semblé que cela n’arrangeait pas tout le monde, et nous n’avons pas été surpris de trouver ce matin, dans un journal qui a sans doute des amis obérés,