Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/846

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces lignes charmantes : « La proposition de M. Luneau est bien misérable ; et sans faire ici l’éloge des citoyens qui ont compromis leur position en s’adonnant tout entiers à la cause démocratique, nous dirons… » Quand aurez-vous tout dit, conspirateurs cassés aux gages ?

Pendant que les représentans du pays travaillent à l’achèvement de la constitution républicaine, le pouvoir exécutif est obligé d’avoir toujours l’œil ouvert et la main prête pour surveiller sans relâche et réprimer à temps les factions turbulentes qui ne peuvent souffrir aucune constitution régulière. L’émoi du 29 janvier s’est propagé sourdement et a continué durant ce mois-ci sur toute la surface de la France ; il a même failli, ces derniers jours, provoquer encore dans l’assemblée un retentissement inattendu. Le général Cavaignac s’était senti justement irrité des affirmations d’un journal qui supposait que le ministre de l’intérieur et le général Changarnier avaient dû prendre le 29 janvier des précautions blessantes pour l’honneur militaire de l’ancien président du conseil. Le général Cavaignac n’a jamais souffert avec beaucoup de patience les déchirures de la vie publique ; le général Changarnier ne reconnaîtrait pas volontiers à tout le monde le droit de l’interroger. Ç’a été entre les deux Africains une escarmouche pleine de convenance, qui s’est bien terminée de part et d’autre ; il faut seulement prendre garde d’abuser des armes courtoises ; on finirait par les aiguiser : c’est sans doute ce que le ministère a pensé quand il a mis une sorte de holà dans le Moniteur du lendemain.

Le gouvernement a fort à faire de mettre le holà dans tous les lieux où l’on querelle, et ce n’est pas de trop pour tout contenir de l’énergique élan qu’il imprime à son administration. Préfets et sous-préfets, magistrats et militaires, savent du moins maintenant qu’on ne les abandonnera pas devant l’anarchie, et qu’ils auront toute latitude pour être sévères à propos. Il n’est pas de sévérité trop rigoureuse en présence d’une agitation révolutionnaire qui se réveille sur tant de points à la fois pour obliger les forces actives de l’ordre à s’annuler en se dispersant. Troubles à Cette, à Lyon, à Niort, à Châteauroux, à Auch, à Limoges, à Chinon ; bonnets rouges qu’on veut maintenir sur la tête de plâtre de nos nouvelles déesses de la liberté, arbres démocratiques que l’on veut replanter pour narguer les aristocrates, officiers municipaux qui font des cours publics de socialisme, ou qui plaident en justice pour les journaux rouges, ou qui invitent leurs concitoyens, sous le sceau de la mairie, à pétitionner pour le rappel du milliard de l’indemnité, enfin et surtout banquets patriotiques en l’honneur du glorieux anniversaire : tel est le menu politique de ces dernières semaines. Le banquet rouennais, qui a procédé à l’apothéose de M. Gent, n’est encore qu’un pâle festival à côté du banquet parisien illustré par l’éloquence de la montagne presque entière. M. Ledru-Rollin, tombé de chute en chute au trône socialiste, s’y cramponne en homme qui veut trôner, n’importe à quel prix et sur n’importe quoi. Il souffle des dithyrambes économiques et philosophiques à la façon d’un vieux proudhonien ou d’un jeune hégélien ; il chante l’éternel processus de l’idée ; il crie : « . Salut à toi, noble France ! » et le reste du même train. (Tonnerre d’applaudissemens.) M. Pyat riposte par un morceau d’humour en l’honneur des paysans de mélodrame, « des porte-blouses qui usent le chicot de la monarchie et fauchent l’ennemi comme un blé mur. » (Applaudissemens frénétiques.)