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Rollin dans les choses du dehors ? Il ne s’en cache pas, il le dit en pleine tribune : la semaine dernière, il interpellait M. le ministre des affaires étrangères pour le sommer d’avoir à se comporter avec la révolution romaine comme le devait un bon républicain, et M. Ledru-Rollin, joignant l’exemple au précepte, formulait d’un ton impératif le discours même qu’à la place de M. Drouin de Lhuis il eût probablement adressé à ses frères du Tibre, en guise de dépêche diplomatique. Voici les paroles qu’il souhaitait qu’on entendit à Rome ; c’est du pur style de chancellerie rouge : « Marchez sans cesse au-delà des événemens pour ne être pas surpris ! » Cela signifie évidemment : promulguez des circulaires comme les miennes et fournissez vos commissaires de pouvoirs illimités comme étaient ceux des miens ; arrangez la république pour vous, afin qu’elle ne s’arrange pas contre vous ! Et puis encore : « Soyez assez audacieux, assez téméraires pour faire rentrer dans le néant, par une inflexible volonté, ceux qui, la veille, étaient et sont encore au fond les ennemis irréconciliables de la démocratie. » Quant à cela, ce n’est pas seulement un conseil pour l’avenir, c’est l’expression d’un regret pour le passé. Cela signifie : ne soyez pas aussi magnanimes dans votre victoire que nous l’avons été dans la notre, et, si vous ne voulez point la perdre, débarrassez-vous, par mesure préalable, de ceux qui pourraient vous la ravir ! Par quelle mesure ? M. Ledru-Rollin ne s’explique pas, et, comme il y a plusieurs manières de rejeter son monde « dans le néant, » il laisse la liberté du choix à ses correspondans romains.

De bonne foi, M. Ledru-Rollin peut-il se figurer que les hommes auxquels le pouvoir est échu, parce que le pays les a rappelés à lui en haine de cette rhétorique des vieux jacobins, aillent maintenant la parler et l’appliquer chez les autres, quand toute leur force consiste à l’avoir proscrite ici ? Pourquoi faut-il que ce mauvais ferment de passions révolutionnaires, contre lequel nous luttons désormais en France avec des chances plus favorables, déborde au contraire et bouillonne chaque jour davantage au-delà de nos frontières ? Mais comment, tandis que nous consumons tous nés efforts à l’extirper du sein de notre pays, comment irions-nous seconder ses progrès dans les pays qui nous avoisinent ? — Si nous ne le faisons pas, nous crie-t-on, si nous ne tendons pas la main, une main secourable, à tous les enfans perdus que la révolution a lancés dans l’Europe, nous attirons à la fois et sur eux et sur nous des ennemis éternels, qui obligeront notre influence à rétrograder autant que la leur avancera ; nous compromettrons notre position en laissant prendre autour de nous des positions ou supérieures ou rivales : le jour où les Autrichiens gagnent pied en Italie et les Russes en Autriche, la France est entamée. — C’est ainsi que les téméraires qui ont enlevé la France à l’assaut de février, et qui depuis ont été refoulés en tant de rencontres, prétendent aujourd’hui s’armer des périls que nous avons suscités leur politique pour nous repousser encore dans les sentiers déplorables d’où nous avons eu tant de peine à sortir.

Oui, sans doute, les complications du dehors deviennent de plus en plus graves : c’est une cruelle perplexité de voir menacer dans leur assiette les bases essentielles de l’équilibre européen, et ce grand mouvement des forces militaires au-delà des limites que leur assignait l’ordre international, ce vaste déplacement qui semble pousser toujours l’Orient sur l’Occident, peut bien nous causer des alarmes sérieuses. Le progrès de ces puissances, qui nous sont opposées