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Malgré les efforts d’une cabale formidable suscitée par les compositeurs et les virtuoses italiens, dont il fallut vaincre la résistance par un ordre exprès de l’empereur, le Nozze di Figaro fut représenté au théâtre italien de la cour, dans le mois de mai 1786, avec un immense succès. On fit répéter jusqu’à six morceaux, et le duo adorable Sull’ aria fut redemandé trois fois. Dès-lors l’activité et la fécondité de Mozart vont s’accroître avec une intensité vraiment incroyable ; on dirait qu’un démon mystérieux l’agite et le pousse à entasser les chefs-d’œuvre en lui criait : Marche, marche, car ton heure approche ! En 1787, il compose Don Juan pour la ville de Prague. Après un voyage fait à Berlin en 1789, où le roi de Prusse s’efforce vainement de le retenir à sa cour par de beaux traitemens, il revient à Vienne écrire Cosi fan tutte en 1790. L’année suivante, il produit coup sur coup la Flûte enchantée, la Clemenza di Tito, la messe de Requiem, et puis il expire dans la nuit du 5 décembre 1791, âgé de trente-cinq ans et quelques mois, après avoir étonné et charmé le monde par la grandeur et la fécondité d’un génie incomparable. Pour réparer une si grande perte, Dieu appelait à la vie, six mois après la mort de Mozart, le 29 février 1792, l’auteur du Barbier de Séville, d’Otello et de Guillaume Tell, le véritable héritier du créateur de Don Juan.


II

On sait que dans le mois de février 1787 Mozart avait fait un voyage à Prague. Il y était appelé par un amateur, un vieil ami de son père, le comte de Thun, qui l’avait engagé à venir jouir en personne de l’immense succès qu’obtenait dans cette ville son dernier opéra, le Nozze di Figaro. Mozart se rendit avec empressement, à l’invitation du comte, qui le reçut dans sa propre maison. Le jour même de son arrivée à Prague, le grand compositeur alla au théâtre, ou une troupe de virtuoses italiens, dirigés par un nommé Bondini, chantait avec beaucoup d’ensemble cette magnifique partition. Lorsqu’après l’ouverture le bruit se répandit dans la salle que Mozart lui-même assistait à la représentation de son chef-d’œuvre, le public l’accueillit par de bruyantes acclamations, et presque chaque morceau de l’opéra fut redemandé avec enthousiasme. Dans les rues, dans les cabarets, sur les promenades, partout on entendait fredonner de motifs du Mariage de Figaro. L’air fameux de Non piu andrai était chanté par toutes les kellerine de la ville, et malheur au musicien ambulant qui n’aurait pas su jouer sur sa harpe ou son violon cette mélodie vigoureuse qui a fait le tour du monde. Pour répondre au bienveillant accueil qu’on lui faisait, Mozart donna un concert dans la salle de spectacle où son talent de virtuose fut aussi admiré que son génie. Prié, à la fin de la soirée, d’improviser