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sanctuaires élégans de la volupté. Le masque était inviolable, et plus d’un prince souverain de l’Europe cachait sa tête couronnée sous les traits d’un buratino. Que de gaietés ! que d’ivresse ! que de longs baisers donnés et savourés dans l’ombre ! « O Venise ! ô reine glorieuse de l’Adriatique ! s’écrie un poète, tu es le sourire du monde (tu sei il sorriso del mondo !) » Telle qu’un vaisseau près de sombrer dans une suit obscure, Venise avait couronné sa poupe de fleurs et s’était illuminée jusqu’à la cime du grand mât avant de disparaître à jamais dans l’abîme des mers.

Arrivé dans cette ville unique, au milieu de ce tourbillon de folies et d’enchantemens, Lorenzo da Ponte devient aussitôt amoureux d’une jolie Vénitienne qui lui inspire les plus beaux sonnets du monde. Quelque temps après cette aventure, une belle étrangère s’empare de son cœur sans qu’il puisse se décider à rompre avec le premier objet de son affection. Le voilà donc menant joyeuse vie entre deux femmes dont il captive également la tendresse et trompe la vigilance, promenant sa fantaisie de casino en casino, de théâtre en théâtre, dépensant la verve de son esprit en disputes littéraires contre l’abbé Chiari, riant de son siècle et se moquant avec son ami Charles Gozzi des comédies de Goldoni, impastate, dit-il, d’une morale aussi froide que lugubre. Plongé ainsi dans les intrigues amoureuses et littéraires, jouant gros jeu, se battant, se querellant, tantôt pour une femme et tantôt pour une épigramme, laissant couler son ame et sa jeunesse au gré des vents les plus contraires, il est tout à coup troublé dans son rêve d’amour. Un inquisiteur d’état lui enlève sa belle étrangère, et l’oblige à quitter promptement Venise. Il s’enfuit à Treviso, dont l’évêque le choisit pour professer la rhétorique dans le gymnase de la ville. De nouvelles péripéties de cœur et quelques mots téméraires balbutiés tout bas contre le gouvernement de la république le forcent à s’échapper des états de Venise. Il va à Görz ; à peine descendu dans la meilleure auberge de la ville, il tombe amoureux de l’hôtesse, qui ne peut résister à la séduction de son esprit, à sa jeunesse pleine d’élégance. Il passe dans ce petit coin du monde quelques jours de volupté discrète, qu’il compte parmi les plus beaux de sa vie ; mais il est bientôt obligé d’interrompre encore une fois ce nouvel épisode d’un sentiment éternel dans sa source, et de fuir les ennemis qu’il s’était attirés par le spectacle de son bonheur et le mordant de son esprit. Lorenzo da Ponte s’en va de là tout droit à Dresde, ville charmante, qui, sous un climat tempéré, renferme toutes les séductions et tous les parfums des contrées méridionales. Il s’y livre aussitôt à la fougue de ses désirs, courtisant la brune et la blonde, l’Italienne aussi bien que l’Allemande, la princesse et la prima donna, auxquelles il préfère avant tout la giovin principiante,