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« Je suis Lorenzo da Ponte, l’auteur du libretto de Don Juan, l’ami de Mozart. » Garcia fit un bond de joie, et, tombant au cou du poète, il se mit à chanter à pleine voix :

Fin ch’ han dal vino
Calda la testa,
Una gran festa
Fa preparar.

Ils conviennent aussitôt de monter sur le théâtre de New-York le chef-d’œuvre de Mozart ; mais il manquait un ténor pour chanter don Ottavio : comment faire ? Da Ponte, à force de démarches et de prières, parvient à trouver un amateur qui consent à lever l’obstacle. C’est ainsi que fut représentée pour la première fois à New-York cette œuvre colossale, Garcia chantant le rôle de don Juan, et son illustre fille, qui n’était pas encore Mme Malibran, celui de Zerlina. Ce fut le dernier beau jour de Lorenzo da Ponte. Avant de mourir délaissé sur une terre froide et inhospitalière, bien loin de sa chère Venise et du ciel fortuné qui l’avait vu naître, il put entrevoir encore une fois les rêves enchantés qui avaient charmé sa jeunesse. Il mourut à New-York, le 17 août 1838, âgé de quatre-vingt-dix ans, dans la plus profonde misère.

Mozart, à peine revenu de Prague à Vienne, et impatient de trouver un librettiste, ne pouvait mieux s’adresser qu’à da Ponte. Déjà ils s’étaient vus, pour la première fois, en 1785, dans la maison du baron de Wetzlar. Ces deux hommes, qui différaient entre eux par le caractère, par l’éducation, par les vicissitudes de leur destinée autant que par le pays qui leur avait donné le jour, semblaient avoir été rapprochés par une volonté suprême pour créer une œuvre magistrale où se réfléchiraient le génie de deux peuples, le trouble et la langueur d’une civilisation expirante. Lorenzo da Ponte professait une grande admiration pour Mozart. Dans les communications fréquentes, dans les épanchemens intimes qui se multiplient nécessairement entre deux collaborateurs, le poète italien avait eu mille occasions de sonder l’ame naïve et profonde du compositeur ; il en connaissait le secret, et il savait par quels mots magiques on pouvait en tirer les plus sublimes accords. L’esprit de Mozart, qui n’était pas sans culture, — car il parlait le français et l’italien aussi facilement que sa langue maternelle, — sa connaissance des bons poètes, son tact, La sagacité avec laquelle il saisissait les nuances des caractères et les vraies conditions du drame lyrique, avaient aussi vivement frappé da Ponte. Mozart avait pris une très grande part dans l’ordonnance générale du libretto des Nozze di Figaro, et sa correspondance avec son père contient à ce sujet une foule de réflexions exquises dont on pourrait tirer toute une esthétique de l’art musical. En