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Mozart s’approcha de son pupitre pour lui expliquer la manière de s’y prendre. Blessé dans son amour-propre, le musicien lui répliqua avec aigreur : « On ne joue pas ainsi du trombone et ce n’est pas de vous que je l’apprendrai. — Vous avez raison, lui répondit en riant Mozart ; Dieu me garde de vouloir vous enseigner ce que vous savez mieux que moi ! mais veuillez avoir la bonté de me donner un instant votre partie, j’arrangerai cela d’une manière plus commode Et, d’un trait de plume, il ajouta à l’accompagnement primitif trois hautbois, trois clarinettes et trois bassons.

On sait comment fut écrite l’ouverture de Don Juan. La veille de la première représentation, Mozart passa gaiement la soirée avec quelques amis. L’un de ceux-ci lui dit : « C’est demain que doit avoir lieu la première représentation de Don Giovanni, et tu n’as pas encore terminé l’ouverture ! » Mozart feignit un peu d’inquiétude, se retira dans sa chambre, où l’on avait préparé du papier de musique, des plumes et de l’encre, et se mit à composer vers minuit. Sa femme, qui était à côté de lui, lui avait apprêté un grand verre de punch, dont l’effet, joint à la fatigue extrême, assoupissait fréquemment le pauvre Mozart. Pour le tenir éveillé, sa femme se mit à lui raconter des contes bleus, et trois heures après il avait terminé cette admirable symphonie. Cependant, ainsi que le fait observer très judicieusement M. Oulibicheff[1], ce miracle est peut-être moins grand qu’on ne le pense. Mozart, comme Rossini, ayant l’habitude de composer de tête ses plus grands morceaux, les gardait très long-temps dans sa mémoire, et, lorsqu’il se mettait à écrire, il ne faisait guère que copier. Il est au moins probable que c’est ainsi qu’a été composée l’ouverture de Don Juan. Le lendemain à sept heures du soir, un peu avant le lever du rideau, les copistes n’avaient pas encore fini de transcrire les parties d’orchestre. À peine avaient-ils apporté les feuilles encore humides, que Mozart fit son entrée à l’orchestre et se mit au piano, salué par de nombreux applaudissemens. Quoique les musiciens n’eussent pas eu le temps de répéter l’ouverture, conduits par un chef habile, Strobach, ils l’exécutèrent à première vue avec une telle précision, que l’assemblée éclata en transports d’enthousiasme. Pendant que Leporello chantait l’introduction, Mozart dit, en riant, à ses voisins : Quelques notes sont tombées sous les pupitres, néanmoins l’ouverture a bien marché.

Le succès de Don Juan fut immense : chaque morceau fut redemander et la ville de Prague se montra digne du grand homme qui lui avait donné un pareil chef-d’œuvre. L’opéra de Don Juan, après avoir été représenté, pendant une quinzaine d’années par une troupe de chanteurs italiens qui desservait les villes de Leipsig

  1. Tome 1er , p. 196.