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en pleurant, un fragment de gamme chromatique que reproduisent aussitôt après les violes, les flûtes et les bassons ! c’est un souffle religieux qui s’échappe d’un cœur oppressé comme pour nous avertir que la portée de ce drame est d’un ordre supérieur. Qui n a pas vu cela dans Don Juan n’a jamais compris Mozart.

C’est avec trois basses qui se coudoient incessamment dans les limites étroites d’une octave et demie, c’est avec des accompagnernens très simples et une grande économie de moyens que le maître produit des effets si puissans. Le fragment de gamme chromatique que soupire le hautbois, et dont chaque note tombe de sa voix plaintive comme une larme d’un œil ému, est un trait mélodique qui apparaît souvent dans le style de l’auteur de Don Juan. Et puis voyez avec quelle discrétion il termine ce morceau par un simple accord de sixte ! Il n’ajoute rien à ce qui est scrupuleusement nécessaire pour l’expression du sentiment, comme s’il craignait de distraire sa douleur par le faste du langage.

Dona Anna, qui, pendant le combat du commandeur avec don Juan, était allée chercher du secours, revient après le trio, accompagnée de domestiques et de don Ottavio. Elle jette un cri de terreur en apercevant le corps inanimé de son père. Le récitatif qui exprime son désespoir est de la plus grande beauté ; le duo qu’elle chante ensuite avec son fiancé est de ce style à la fois énergique et tendre qu’on admire à toutes les pages de cette admirable partition. La partie de don Ottavio est empreinte de cette délicatesse de sentimens, de cette réserve respectueuse d’un jeune homme bien né qui console la femme promise à son amour. Quoi de plus exquis, par exemple, que le passage suivant :

Lascia, o cara,
La rimembranza amara !


Dona Anna et don Ottavio partis, une ritournelle vive et brisée annonce l’arrivée de dona Elvira. L’air qu’elle chante est un morceau remarquable qui exprime une nuance très compliquée de la passion. En effet, dona Elvira est la femme légitime de don Juan. Il n’a pu la séduire qu’en touchant son cœur, qu’en l’attachant à sa destinée par un lien solennel. Il y a dans les cris et dans les larmes de cette femme non-seulement la douleur d’une amante qui implore, mais aussi l’indignation de l’épouse qui revendique la foi promise, son droit méconnu. Lorsqu’elle s’écrie avec transport :

Ah ! chi mi dice mai
Quel barbaro dov’ è ?


On sent que, malgré les éclats de sa colère, elle est toute prête à pardonner, si un sourire de regret lui rappelle dans l’époux infidèle l’homme qui a su la charmer. Les imprécations de dona Anna nous apprennent quelle a été la proie de la ruse et de la force, tandis que les larmes de