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— Puisque nous avons l’avantage de vous posséder, caro mio cavaliere, dit la comtesse, nous allons faire un peu de musique, si vous le voulez bien. Je serais fort aise de faire connaître à ces messieurs, qui m’honorent de leur visite, les petits talens que nous cultivons dans notre humble retraite. — Le chevalier s’inclina et répondit qu’il était aux ordres de la comtesse. Sur un signe de sa tante, Frédérique se leva et s’achemina vers le piano. À voir la taille charmante de cette jeune fille, son maintien recueilli et chaste, sa tête penchée sous le poids de ses tresses blondes, on aurait dit l’image adorée de la Marguerite de Faust. — Que voulez-vous que je joue, ma tante ? dit Frédérique assise au clavier. — Chantez-nous du Mozart, ma nièce ; c’est le maître préféré des ames délicates et bien nées ; n’est-ce pas, cavaliere ? — On ne saurait mieux définir la musique de Mozart, répondit-il en prenant la partition de Don Juan et en s’approchant de Frédérique, qui préludait sur le piano. Après avoir feuilleté avec une distraction apparente la partition qu’ils avaient devant eux et s’être entretenus tout bas pendant quelques minutes, ils se mirent à chanter le duo La ci darem la mano. Dès les premières mesures, nous fûmes frappé de la manière élégante avec laquelle le chevalier chanta la phrase si exquise du début. Sa voix n’était qu’une espèce de baryton assez médiocre, mais son style savant et passionné était vraiment admirable et tout-à-fait digne de celui dont il interprétait la pensée. Frédérique lui répondit avec une voix de mezzo soprano un peu voilée, mais d’un timbre suave et pénétrant, et avec une expression si vraie, si simple et si profonde, que les larmes nous vinrent aux yeux. Lorsqu’elle fut arrivée à ce passage de l’andante, presto non son piu forte, où Zerlina, éperdue sous le regard qui l’enivre, avoue sa prochaine défaite, nous sentîmes un frisson parcourir tous nos membres. Chaque note s’élevait comme un sanglot vers le ciel et retombait sur nos cœurs comme un soupir d’amour. Les mots nous manquent pour exprimer l’émotion dont nous fûmes saisi au moment où, don Juan pressant Zerlina de le suivre, celle-ci pousse ce cri suprême d’andiam ! Nos yeux et nos oreilles furent enveloppés tout à coup comme d’un nuage magique à travers lequel il nous semblait entendre, dans le lointain, deux voix se confondre dans un élan ineffable. Toute une destinée de femme fut emportée dans ce tourbillon, et Frédérique a pu dire depuis :

Quel giorno piu non vi leggemmo avante…

Nous passons vite sur l’air Ah ! fuggi il traditor, que chante dona Elvira après le duo de don Juan et de Zerlina, pour arriver au quatuor qu’il amène. Don Juan, poursuivi par les cris de dona Elvira, fait la rencontre fâcheuse de dona Anna et de don Ottavio. Sa position est en ne peut plus embarrassante entre une femme éplorée qui l’accable