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et lumineuse qui s’élève de l’ame et se dilate comme un léger nuage. Si nous avions à porter sur la toile le pensée de Mozart et à la compléter par un paysage qui en serait la traduction, nous placerions cette scène au déclin d’un beau jour d’automne, sous une treille chargée de pampres dorées qui laisseraient voir au loin une campagne fortunée, un horizon infini couronne par les dernières lueurs d’un soleil généreux. C’est là que dona Elvira, en robe blanche, les cheveux épars et presque enveloppée par l’ombre du soir, laisserait échapper de son cœur oppressé le dernier souffle de l’idéal :

At illa
Flet noctem, ramoque sedens miserabile carmen
Integrat, et moestis late loca fletibus implet[1].

Frappée de la voix et du maintien de don Juan, dona Anna a cru reconnaître en lui le meurtrier de son père. Elle pousse un cri de terreur après le départ du séducteur, et raconte alors à don Ottavio toutes les circonstances de la nuit funeste où elle fut surprise dans son appartement par un inconnu. Ce récitatif à grand orchestre est plein de mouvement et de passion, et nous le préférons à l’air qui suit, Or sai che l’onore, dans lequel dona Anna fait promettre à son amant de la venger.

Mais voici de nouveau don Juan, dont l’entrain, le brio et la gaieté impétueuse contrastent admirablement avec la fureur de dona Anna, qui vient de quitter la scène. Suivi de son confident Leporello, il lui ordonne de préparer une fête et d’y convier tous les habitans du pays. — Point de distinction, point de préférence injuste, dit-il ; que chacun participe aux dons de ma munificence, et si même tu aperçois sur la place quelque jeune fille à l’œil éveillé, emmène-la aussi avec toi ; qu’elle vienne partager et accroître la joie commune. Enivre les uns, fais danser les autres, occupe tout le monde ; et moi, pendant tout ce temps-là, profitant de la confusion générale, je voltigerai de belle en belle, donnant à chacune des témoignages de mon amour. — Quelle verve ! quelle désinvolture ! quel superbe dédain de la morale humaine ! quelle soif de plaisirs ! quel enthousiasme ! On dirait un disciple de Spinoza prenant son essor pour s’élancer dans le tout sans rivage de la vie universelle. Il fallait entendre Garcia chanter cet air de

Fin ch’ han dal vino
Calda la testa,


dont l’accompagnement fermente, pétille et éclate comme du vin de Champagne. Garcia frappait un trille vigoureux, sur le mot ballar, qui termine la phrase incidente, et il le faisait sauter en l’air comme

  1. Géorg., chant IVe, vers 513, 14 et 15.