victime. Don Juan en sort précipitamment, l’épée à la main, tenant par les cheveux Leporello, qu’il feint de vouloir immoler pour détourner sur lui les soupçons des assistans ; mais sa ruse infernale ne trompe personne. Dona Anna, dona Elvira et don Ottavio se découvrent et apostrophent don Juan d’une voix terrible en lui disant : Tutto gia si sa, on sait tout et vous êtes connu. Surpris d’abord et décontenancé, don Juan se rassure bientôt, et, se retournant tout à coup comme un lion poursuivi dans son dernier refuge, il affronte la multitude courroucée, qu’il brave et défie. L’orage gronde dans l’orchestre, qui se soulève et monte par un crescendo et un unisson formidables, spirale infinie qui sillonne l’espace, et qui, comme la buffera infernal, balaie les cieux et en obscurcit les clartés. Le tonnerre gronde dans les basses, les éclairs jaillissent de toutes parts, et don Juan, intrépide, impavidus, au milieu de cette conflagration de tous les élémens harmoniques et de la colère des hommes, puisant dans l’idéal qui l’illumine une force héroïque, se fraie un passage à travers la foule tremblante qu’il accable de son mépris.
Tel est ce morceau incroyable qui, par la multiplicité des épisodes, par la variété des caractères, par l’infinie délicatesse des détails, par la grandeur du plan et la puissance des effets, ne peut être comparé qu’au Jugement dernier de Michel-Ange. C’est tout un drame où la passion se mêle au sourire et à la tristesse religieuse, conçu et exécuté par un génie qui unissait la grace de Raphaël, la mélancolie de Virgile à la sombre vigueur de Dante et de Shakespeare. Rien de ce qui a été fait depuis ne s’approche de ce finale incomparable où tous les maîtres ont puisé à larges mains, et Rossini plus que tous les autres. La stretta qui termine le finale du Barbier de Séville procède évidemment de celle du premier finale de Don Juan, où Mozart a concentré toutes les beautés partielles de son œuvre.
Le second acte s’ouvre par un petit duo : Eh ! via buffone, entre don Juan et Leporello, querelle de ménage lestement traitée et qui n’a pas de suites fâcheuses. Le trio qui succède, Ah ! taci ingiusto core, chanté par dona Elvira, Leporello et don Giovanni, est un morceau exquis par les détails de l’art et par la profondeur du sentiment. Dona Elvira, tristement accoudée sur un balcon, laisse errer son regard mélancolique dans la pâle clarté de la lune qui enveloppe sa taille élancée d’une ombre transparente. Malgré la scène horrible à laquelle elle vient d’assister, malgré les torts de don Juan, elle ne peut encore le haïr et en effacer l’image dans son cœur. Elle essaie vainement de refouler les soupirs qui s’échappent de son sein, et qui sont un témoignage de la durée et des inconséquences de son amour. Don Juan, qui a reconnu dona Elvira et qui n’a rien de mieux à faire pour le moment, s’amuse à lui adresser de nouvelles protestations de fidélité avec une telle exagération