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patrie. C’est dans un cadre ainsi préparé par un enfant des lagunes et un ami de l’humoriste Charles Gozzi que Mozart va exhaler les tristesses et déployer les magnificences de son génie. Il communique d’abord à son héros la fièvre de l’idéal dont il est tourmenté lui-même depuis sa plus tendre enfance, et puis il le pénètre de cette audace révolutionnaire, de cette ivresse de la vie, de cette foi dans la toute-puissance de l’esprit humain, qui caractérisent la seconde moitié du XVIIIe siècle. Autour de ce personnage titanique qui s’avance en brisant tout ce qui fait obstacle à sa destinée, Mozart place trois femmes adorables exprimant, trois nuances différentes du sentiment : l’une, dona Anna, représente la grandeur déchue, la noble fierté de la patricienne, l’éternelle douleur de la vertu outragée ; l’autre, dona Elvira, l’exaltation, la perpétuité et l’ineffable tristesse de l’amour dédaigné ; la troisième, Zerlina, c’est la plébéienne éveillée par la fantaisie, qui aspire aux régions supérieures de l’existence. À côté de ces trois fleurs charmantes se trouvent l’élégant don Ottavio, le bouffon Leporello, le paysan Masetto et le commandeur, chef vénérable de la famille antique, qu’enveloppe et couronne le merveilleux du christianisme, c’est-à-dire tous les élémens du vieux monde qui va bientôt disparaître.

Ce que Mozart a mis de personnel et d’intime dans ce drame terrible, c’est la tendresse de son cœur, que le moindre mot amer faisait déborder ; c’est la mélancolie divine de son ame, qui, frappée dans ses affections les plus chères, se sentait défaillir à la fleur de l’âge ; c’est, enfin, la piété douce et profonde dans laquelle il avait été élevé par des parens qui offraient un modèle de la famille chrétienne, sa foi naïve dans les symboles du catholicisme, dont la sombre poésie le faisait sangloter sur son lit de mort, alors qu’il écrivait d’une main tremblante l’hymne de l’autre vie, le Requiem. « Ah ! disait-il un jour à un protestant de ses amis, vous avez votre religion dans la tête et non dans le cœur ; vous ne sentez pas, comme nous, ce que veulent dire ces mot : Agnus Dei qui tollis peccata mundi, dona nobis pacem ; mais, lorsqu’on a été, comme moi, introduit dès sa plus tendre enfance dans le sanctuaire mystique de notre religion, que, l’ame agitée de vagues désirs, on a assisté au service divin où la musique traduisait ces saintes paroles : Benedictus qui venit in nomine Domini ! oh ! alors, c’est bien différent. Plus tard, lorsqu’on s’agite dans le vide d’une existence vulgaire, ces impressions premières, restées ineffaçables au fond du cœur, se ravivent et montent à l’esprit comme un soupir qui se dilate. » On voit que Mozart avait le secret de son génie et qu’il possède la tendresse et la mystérieuse profondeur d’une ame religieuse.

Faust et don Juan personnifient, nous le répétons, les deux tendances extrêmes de notre nature ; ils nous offrent la double expression d’un siècle qui a divinisé la toute-puissance des passions humaines. L’un