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veut saisir l’infini et le bonheur suprême en s’enfermant dans les ténèbres de la pure intelligence, l’autre en se plongeant dans les phénomènes de la sensibilité, où il espère trouver une éternelle jeunesse. Le drame de Goethe, le poème de Mozart, ont été conçus au milieu de ce grand mouvement philosophique et littéraire qui agite l’Allemagne à la fin du XVIIIe siècle, et la nationalité commune des deux grands artistes n’est pas leur seul point de ressemblance. Nés à quelques années d’intervalle l’un de l’autre, Wolfgang Goethe et Wolfgang Mozart, qui ne se sont jamais connus, étaient doués tous les deux d’une imagination magnifique et sereine. Maîtres et souverains chacun dans son art, parlant toutes les langues et rompus à tous les styles, ils joignaient à l’émotion profonde, au spiritualisme du peuple allemand, la précision, l’élégance et le fini des poètes et des musiciens de race latine. Tous deux aiment l’Italie, tous deux y sont appelés par une attraction secrète, et tous deux la quittent le cœur plein de regrets, l’imagination remplie de lumière et de parfums dont ils enrichissent la langue de leur patrie. Leur muse, comme une ame exilée, semble tourner incessamment le regard vers ces contrées bienheureuses et chanter avec Mignon : Connais-tu ce pays où fleurissent les citronniers ? Enfin, Goethe et Mozart ont tous deux résumé les inquiétudes, les aspirations de leur siècle, dans un drame sublime où le merveilleux de la légende chrétienne s’unit à l’esprit philosophique des temps nouveaux.

Le génie universel de Mozart s’était familiarisé avec toutes les écoles sans avoir de prédilection exclusive pour aucune. Il étudia avec la même ferveur les maîtres du Nord et ceux du Midi ; il sut féconder la science harmonique de l’école des Bach par la mélodie italienne. Il n’y a pas de maître en musique que je n’aie lu et relu plusieurs fois, avouait-il, et sur sa table on voyait les œuvres de Sébastien Bach à côté de celles de Durante et de Leo. Il avait une profonde admiration pour Haendel, qui, disait-il souvent, connaît à fond la science des grands effets : quand il veut, il frappe comme le tonnerre. Il faisait grand cas de Jomelli, il goûtait le talent facile de Vincenzo Martini, tandis qu’il estimait aussi peu Haase que Graun. Mozart est le vrai créateur de l’opéra allemand. Avant lui, on ne peut citer en ce genre que les essais d’un homme de génie, Basilius Keyser, et les mélodrames de George Benda, que Mozart affectionnait. L’auteur de Don Juan a grandi et transformé le cadre de l’opéra italien en développant les morceaux d’ensemble, en y faisant entrer l’orchestre d’Haydn, dont il a vivifié les couleurs par une application plus parfaite des instrumens à vent traités avec un soin tout particulier. Gluck a eu aussi beaucoup d’influence sur Mozart : il lui a appris le langage élevé des passions, il lui a le goût des grandes péripéties traduites par des masses chorales ; mais l’auteur d’Idomeneo et de Don Juan est supérieur au chantre