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ame qui s’ignore ; nous écoutons avec ivresse, avec attendrissement toutes les paroles qui s’échappent de cette bouche frémissante ; et quand Julie, éclairée d’une lumière divine, remercie le Créateur, nous respirons plus à l’aise ; notre poitrine se dilate, comme si nous quittions l’air humide de la vallée pour l’air pur et généreux de la montagne.

L’amour de Julie pour Raphaël est d’une chasteté irréprochable ; mais cette chasteté n’a pas le caractère qu’elle devrait avoir pour exciter en nous une émotion profonde. Ne faut-il pas, en effet, qu’elle soit un sacrifice, un combat, une victoire, pour mériter notre admiration. Or, Julie, pour conserver sa pureté, pour demeurer, après l’aveu de son amour, ce qu’elle était avant de connaître, avant d’aimer Raphaël, n’a pas de lutte à soutenir, pas de combats à livrer. Jamais son sang ne s’allume ; jamais son regard troublé ne se détourne avec effroi du visage, de son amant ; jamais les battemens de son cœur ne retentissent jusqu’à ses tempes comme le bruit lointain du marteau sur l’enclume ; jamais sa langue paralysée par l’émotion ne balbutie des paroles incohérentes, inachevées. Belle et pâle comme une statue de Paros, elle ne peut, comme Galatée, s’animer sous l’haleine ardente de son amant. Elle aime, mais son amour, que les anges comprennent sans doute, son amour n’a rien d’humain ; car son cœur, en s’éveillant, n’a rien changé à l’immobile froideur de ses sens. Et quand Raphaël, seul avec elle, enivré de sa beauté, la supplie de se donner à lui, comment se défend-elle ? comment impose-t-elle silence à ces vœux ardens, à ces prières dont chaque parole est un danger ? Est-ce au nom du devoir ? Mais Julie, qui ne croit pas en Dieu, et qui ne conçoit pas la morale sans la religion, Julie ne croit pas au devoir. Elle se donnerait à son amant sans remords, sans honte ; en livrant sa beauté, qui ne lui appartient pas, puisqu’elle est engagée par un serment, elle ne s’imposerait aucun sacrifice ; si elle se rendait aux prières de Raphaël, sa conscience ne gémirait pas ; l’abandon de sa beauté ne lui coûterait ni une larme ni un soupir. Dans les bras de son amant, elle serait aussi calme, aussi contente, aussi fière d’elle-même que si elle n’avait trahi aucun serment. Quelle puissance protége donc sa beauté contre l’amour de Raphaël ? La pudeur est muette dans son ame aussi bien que la loi morale. L’étude austère, l’étude exclusive du monde visible ne voit dans la pudeur comme dans la conscience qu’un rêve d’enfant. Julie elle-même, comme si elle prenait plaisir à doubler le danger, Julie confesse à son amant qu’elle se donnerait à lui sans remords, qu’elle ne craindrait, après le dernier abandon, ni les reproches de sa conscience ni les reproches du monde. Pourquoi donc refuse-t-elle à Raphaël le don de sa beauté ? Pour dompter la passion de son amant, pour contenir son ardeur, pour le désarmer, pour se rendre invulnérable, elle n’a qu’un mot à prononcer, et ce mot suffit pour élever entre l’amour