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POÈMES ÉVANGÉLIQUES.




LA TEMPÊTE.


I


Le navire est immense, un peuple entier l’habite ;
D’après un plan divin sa charpente est construite ;
L’homme en a pris le bois aux plus divers climats,
Cent ans n’ont pas suffi pour en dresser les mâts.
Nul ne connaît son port, son vrai nom, ni son âge ;
Ses hôtes les plus vieux sont nés dans le voyage.
Pourtant un récit vague à leurs fils garde encor
Les regrets et l’espoir d’un ciel, d’un pays d’or,
Et, montrant quel chemin doit les y reconduire,
Des signes sont écrits partout sur le navire.

Mais, plutôt que de lire à ce livre sacré,
Chacun se fait un port, une route à son gré.
La nef est bien pourvue, on peut gaîment y vivre ;
Jamais le flot, battant ses flancs doublés de cuivre,
N’entama jusqu’ici le vaisseau paternel,
Et, comme il est antique, il semble être éternel.

Donc, sans souci des eaux et des vents qui font trève,
Chacun poursuit à part son calcul ou son rêve ;
Chacun prend pour seul dieu soi-même et son penchant :
Le matelot s’enivre ou danse ; le marchand
Compte le gain futur, et là, comme en nos villes,
Grondent, sous les plaisirs, les discordes civiles.
Les chefs, aveuglément sur la pourpre accoudés,
Boivent leur vin dans l’or et font courir les dés ;