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Ils n’interrogent plus la marche des étoiles.
Le navire est robuste et vogue à pleines voiles ;
On ne consulte guère un ciel toujours serein ;
Ils ont pris leur orgueil pour livre souverain.

De l’infaillible carte, ainsi, germant les pages,
Les plus vains, du timon, éloignent les plus sages.

Or, le seul vrai pilote est assis à l’écart ;
La discorde et l’orgie attristaient son regard ;
De son manteau d’azur voilant sa tête blonde,
Il demande au sommeil de lui cacher ce monde ;
Il songe, et par-delà notre étroit horizon
De son père il revoit la céleste maison.

Et nul ne s’aperçoit, dans ce peuple en délire,
Que le Seigneur absent manque à l’humain navire ;
Et tous ont oublié, comme s’il était mort,
Celui qui sait la route et tient les clés du port.

Nous laissons tous, hélas ! jusqu’au péril extrême,
Le guide intérieur dormir en nous de même.
Quand souffle un heureux vent, quand le monde est ami,
Nul ne songe au patron sur la barque endormi,
Et souvent une main faible, inhabile, infâme,
Tient au jour du danger le gouvernail de l’ame.


II


Voici l’écueil ! l’assaut des flots inattendus
Dont les cieux consultés nous auraient défendus !
Voici le grand orgueil qu’aucun orgueil ne dompte,
L’océan qui rugit, la mer, la mer qui monte !
Qui pourra l’abaisser, la superbe des eaux !
Homme ! un autre que toi guide au port les vaisseaux.

Toi, tu sais, dans le chêne ou l’or que tu découpes,
Tu sais tailler leurs flancs et festonner leurs poupes ;
Tu sais tisser la voile et nouer les agrès ;
De l’aimant conducteur tu connais les secrets ;
A des coursiers d’airain donnant leur cœur de flamme,
Tu sembles prendre au ciel le don de faire une ame :
Tu ne lui prendras pas les clés du gouffre amer,
Tu tiens la barque, et Dieu tient le vent et la mer.