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quelque épigramme cachée ? Ce procédé de laisser parler les faits au lieu de parler soi-même, de démontrer en racontant, si familier à l’historien des ducs de Bourgogne, s’est-il retrouvé ici insensiblement sous sa plume ? Je l’ignore ; mais, dans cette rapide revue des ombres, il semble qu’au passage on reconnaît bien des figures qu’on a, comme on dit, vues quelque part. N’avons-nous pas rencontré de ces orateurs épris de leurs propres paroles, héritiers des constituans de 91, qui érigent en système l’hostilité du pouvoir qui fait les lois contre le pouvoir qui les exécute, et qui, après avoir poussé jusqu’au bout ce duel à mort, s’étonnent de bonne foi que les lois périssent avec leur organe et leur agent ? Et ces révolutionnaires convertis, qui, se prenant eux-mêmes du plus grand sérieux pour l’incarnation du patriotisme et des libertés publiques, pensaient que la France n’avait plus rien à demander du moment qu’elle les voyait au pouvoir ; ces rois au petit pied, qui se partageaient les lambeaux du manteau royal, et qui étalaient de sang-froid devant une nation ruinée un luxe vulgaire, est-ce que le Luxembourg ou le Palais-Bourbon n’ont pas vu quelques originaux taillés ce modèle ? Fasse le ciel que le parallèle n’aille pas jusqu’au bout, et que, de déception en déception, nous ne voyions pas encore quelque jour une nation fatiguée donner elle-même les mains aux artifices à peine déguisés du despotisme, et se rendre, comme un parterre de théâtre, complice de l’illusion qu’on voudrait lui faire. Hélas ! ce sont nos faiblesses, celles que chacun remarque chez son voisin, ou sent en soi-même, que ce tableau fait passer sous nos yeux ; mais on y retrouve aussi nos vœux éternels et nos convictions impérissables. C’est bien toujours la même France, demandant les mêmes choses, et ne sachant jamais obtenir ou garder que la moitié de ce qu’elle désire. C’est toujours Isis ramassant par le monde les membres épars d’Osiris sans pouvoir rendre l’unité et la vie à son corps déchiré.

En arrivant, dans cette revue rétrospective, au point sensible par excellence, à l’époque de malheurs que, depuis vingt ans, on s’applique, avec une légèreté imprudente, à réhabiliter, et, depuis un an, avec une ardeur infernale, à reproduire, M. de Barante s’est élevé par degrés, et sans sortir du calme habituel de son langage, à quelques effets d’une véritable éloquence. Il faut citer en entier cette page remarquable, qui répond, sans y prétendre, à tant de sophismes que l’inexpérience de grands historiens et les rêveries de grands poètes ont, par malheur, livrés, comme un appât, aux passions sanguinaires de la démagogie. « La convention, dit-il, après avoir d’abord été soumise à la tyrannie sanglante de la commune de Paris, s’installa dans le pouvoir absolu et prétendit exercer la souveraineté du peuple. Il n’y eut plus aucune division des pouvoirs, aucune garantie, aucun contrôle : tout fut concentré en une seule autorité. La convention fut législateur,