Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/993

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la société française. Son souffle dévastateur a dispersé, pendant un instant, tous ces précieux élémens recueillis par le travail des siècles ; mais, comme ils sortaient du fond même du pays, il n’a fallu qu’un instant aussi à la main puissante du grand organisateur de la France pour les rassembler et leur rendre une vie nouvelle. À sa voix, les fonctions publiques se sont relevées ; un pouvoir plus étendu, une hiérarchie plus sévère, un avancement plus régulier, ont achevé de donner à ce que M. de Barante appelle la classe administrative une constitution véritable et d’autant plus remarquable, qu’au milieu de l’égalité générales elle est restée la seule qui passât la tête au-dessus du niveau commun. La liberté constitutionnelle est venue sur ces entrefaites, et comme c’est le propre de cette liberté de porter l’influence du côté où est l’aptitude véritable, il n’a pas été étonnant que la classe administrative ait pris sur-le-champ, dans toutes les institutions politiques, une prépondérance assez marquée. Tout ceci est raconté dans le chapitre des emplois publics, avec une grande intelligence des faits, et M. de Barante arrive ainsi à expliquer tout naturellement, par l’histoire même de la France, la part immense que les fonctionnaires publics ont elle, pendant les deux monarchies constitutionnelles, dans toutes les assemblées politiques. Ils avaient été, dit-il, en quelque sorte la représentation morale de la société française avant qu’elle eût une représentation officielle et constituée. Les fonctionnaires publics étaient la classe politique de France : les chambres, en les admettant, étaient la véritable image du pays. Ainsi s’explique également, après une révolution qui n’a pas eu précisément pour maxime le respect des droits acquis, ni la fidélité aux vœux de la majorité, la proscription brutale qui vient de les frapper en masse.

Pas plus que M. de Barante, nous ne prenons le change sur les véritables sentimens qui ont dicté cet anathème. Nous savons bien que ce qu’on frappe dans les fonctionnaires publics, ce n’est pas, comme on dit, leur dépendance, c’est plutôt leur élévation ; nous savons bien qu’en marquant d’une sorte d’indignité civique toutes les fonctions où se portent d’ordinaire les classes éclairées de la, société, on ne va pas si à l’aveugle qu’on en a l’air ; nous savons bien que dans la carrière administrative, sauf les grands jours de révolution, il faut quelques titres pour parvenir, et que ces titres acquis par la patience du travail ou par l’éclat du mérite choquent un sentiment que M. de Barante a caractérisé avec une force inaccoutumée : « C’est cette égalité hostile et envieuse qui ne tend qu’au mal d’autrui, oubliant même son propre bien… qui brise l’échelle sociale, afin de ne pas avoir le chagrin de voir le mérite en monter les degrés,… qui applique ses penchans tyranniques à arrêter le progrès général de la société. S’il lui était donné, ajoute-t-il, de la façonner à son gré, elle en ferait une Chine démocratique. » Il y