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faisaient dire à ceux qui l’écoutaient : « Joubert a une tête haute et calme ; il a la hauteur et la sérénité de l’Olympe dans sa tête. — Joubert a vêtu sa pensée d’un arc-en-ciel. » Pourtant on se jugeait l’un l’autre. Quand on était avec Fontanes seul, on disait : « Joubert a le besoin et le tourment de la perfection ; mais ses idées sont tellement prises dans le ciel, qu’il n’y a pas de langage humain qui les rende. » — « Joubert, en métaphysique, fait des entrechats sur la pointe d’une aiguille. »-« Il ne faut pas trop affiner le style. Le style de Joubert est trop métallique. Il manque de mollesse. » D’un autre côté, quand on était avec Joubert seul, on disait : « Fontanes a un style poli sans éclat. Il caresse bien la phrase, mais elle ne laisse pas de sillon ; elle ne s’imprime pas. » — Sur Chênedollé même nous verrons bientôt l’opinion de tous deux.


La littérature de la fin du XVIIIe siècle et de l’empire n’a jamais été jugée avec plus de piquant et plus en connaissance de cause que par ce petit groupe qui l’observait de si près, et qui se composait de gens du métier, à la fois gens du monde, et sans envie. Je ne puis que citer des propos saisis au passage et comme interrompus. Par exemple, on disait :

« Il y a dans Chénier (Marie-Joseph) un commencement d’élégance sur un fonds d’insipidité.

« Les Grecs disaient qu’il y avait un pays où il n’y avait pas de printemps, mais un air tiède : de même, dans Chénier, il n’y a pas de poésie, mais une apparence de poésie.

« Chénier était né pour la satire et non pour la tragédie. Souvent il a glissé la satire jusque dans le drame : il a manqué sa vocation.

« Ce n’est pas que Chénier manque de combinaisons tragiques. Il a une tête assez large. On peut lui trouver même de l’élégance et de l’harmonie ; ce qui lui manque, c’est le charme ; il n’a point le souffle divin, mais c’est son frère qui l’avait bien éminemment ; c’est celui-là qui était poète[1].

« Chénier a sûrement du talent, mais c’est un talent fait, un talent artificiel. Il a fait son esprit avec celui des autres. »

— « Les écrivains du XVIIIe siècle se sont fait leur originalité : leur esprit est fait, il est artificiel, il est de pièces et de morceaux. Mettons vite Voltaire à part. Exceptons aussi Montesquieu, qui s’est bien fait son talent, mais avec ce qui était à lui. Il en est de même de Buffon ; mais n’exceptons ni Rousseau ni les autres. Quant aux écrivains du siècle de Louis XIV, ils ont une originalité en quelque sorte obligée, une physionomie native. On sent qu’ils ne pouvaient pas écrire autrement. »

« Le style de Montesquieu est plutôt une merveille qu’un modèle. »

  1. Ceci se disait en 1807. — Ce petit monde d’élite avait été fort informé d’André Chénier par Mme de Beaumont, qui l’avait connu. Chênedollé le connaissait également par ce qu’il en avait appris à Hambourg. Pour eux tous, André était bien resté l’aîné de Marie-Joseph.