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Cependant le Génie de l’Homme, malgré le peu d’accueil qu’il avait reçu du public, avait fait son chemin auprès des hommes de lettres et des amis des beaux vers ; l’auteur était classé par eux au rang le plus distingué. C’était assez sans doute pour qu’il eût droit de songer à l’Académie. En 1817, l’idée lui vint de s’y présenter ; mais il lui arriva ici comme en plus d’une autre circonstance, il se mit en route trop tard. Sur la nouvelle de son dessein, Parseval-Grandmaison lui écrivait une lettre qui a dû être récrite bien des fois presque dans les mêmes termes, et qui pourrait être stéréotypée en réponse à toutes les candidatures qui veulent se faire ainsi à distance :

« Vous vous y prenez bien tard, mon cher ami, pour faire des démarches, et je crains bien que votre voyage ne soit perdu ; il en serait peut-être autrement, si vous étiez parti à la première nouvelle de la mort de M. de Choiseul[1] ; les deux nominations successives vous offraient plus de chances, en vous y prenant à temps ; je n’en crois pas moins que si, par la suite, vous prenez mieux vos mesures, vous pouvez ne pas trop attendre, car la disette est bien grande de ceux qui écrivent aussi bien que vous, etc., etc. »

En 1824, Chênedollé eut encore la pensée de revenir à la charge. Il s’adressa cette fois à M. Roger, qui, plus heureux, plus habile et surtout très présent, avait eu le pas sur l’auteur du Génie de l’Homme. M. Roger lui répondit en des termes qui me paraissent atteindre la perfection du refus évasif et poli : c’est un modèle de lettre à ajouter à toutes celles que donne Richelet :

« MONSIEUR,

« En me parlant de l’Académie et de votre désir d’y entrer, vous êtes toujours d’accord avec les vœux que je forme depuis long-temps ; mais j’ai toujours hésité à vous répondre sur cet article, parce que je crois qu’un homme de votre talent et de votre considération ne doit se présenter qu’avec la presque certitude du succès. Or, cette certitude, je ne l’ai point encore entrevue jusqu’ici, et, même aujourd’hui que nous avons deux vacances, je vous tromperais si je vous donnais des espérances pour l’une ou pour l’autre. Je me permets un conseil que je prendrais pour moi-même à votre place : J’attendrais, et je crois que je n’attendrais pas bien long-temps. Je suis loin pourtant, monsieur et cher confrère[2], de vous dissuader de venir à Paris. Je serai, pour mon compte, charmé de vous y voir et de vous renouveler de vive voix les assurances de, etc., etc. »

Ce conseil j’attendrais parut fort gai à Chênedollé, qui attendait, en effet, depuis plus de dix ans, et dont le juste moment eût été d’entrer vers 1812 à la place d’Esménard. Il se contenta d’écrire une petite note énergique en marge de la lettre de M. Roger, en jurant qu’on ne l’y

  1. M. de Choiseul-Gouffier.
  2. Confrère : il lui donne le titre au moment même où il vient de le lui refuser. Il veut dire sans doute confrère d’université, ou de quelque académie de province dont ils étaient membres tous les deux.