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ment il avait passé avec ses dieux lares au roman historique, mais, comme artiste, il venait d’entrer dans un nouvel âge, une nouvelle manière. Il était facile de s’apercevoir que l’homme de sensations chez lui avait à peu près épanché toutes les impressions que lui avait causées la vie et qu’il pouvait sentir le besoin d’exprimer. On comprenait qu’il en avait plus ou moins fini avec ces inspirations de jeunesse, dont la source est dans les appétences, les désirs, les espérances, et que l’activité de sa nature s’était en quelque sorte retirée dans son intelligence. Dans la préface du Dernier des Barons, le romancier nous expose lui-même « les principes auxquels il s’est efforcé de se conformer dans toutes ses dernières compositions. » Entre les trois voies qui s’ouvrent devant l’écrivain, comme devant le peintre, les voies de l’école intellectuelle, de l’école pittoresque et de l’école familière, c’est pour la première qu’il se décide. L’art auquel il se voue est « l’art italien, qui se propose d’élever et d’émouvoir, qui cherche à peindre dans l’action le jeu des grandes passions comme des mobiles plus subtils de nos actes, dans le repos le reflet de la beauté intellectuelle. » Ce qui le préoccupe plus que jamais, c’est donc l’idéal, la grandeur, et plus que jamais aussi il aspire à toutes les qualités qui procèdent de la réflexion et qui font d’une œuvre une majestueuse unité harmonieusement combinée.

Le Dernier des Barons, qui peut être regardé comme une réalisation fort complète des théories de M. Bulwer sur le roman historique, est une peinture de l’Angleterre durant la période si obscure de la guerre des deux roses. La principale figure du récit est celle de Warwick, le faiseur de rois, qui, après avoir placé Édouard d’York sur le trône, se jeta dans le parti de Lancastre, et finit par succomber à la bataille de Barnet. À proprement parler, le sujet du romancier est la chute de la grande féodalité territoriale, le triomphe de la maison d’York et la naissance politique des classes moyennes. M. Bulwer n’est nullement un continuateur de Walter Scott. Sa véritable ambition n’est pas de nous intéresser à un drame imaginaire se déroulant à travers les événemens réels du passé. Il tente de ressusciter les grands personnages de l’histoire en leur rendant les mobiles qui ont décidé de leurs actes, et, à côté d’eux, il place d’autres figures symboliques où il incarne les passions et les idées de l’époque. Alwyn l’orfèvre, c’est la tendance des communes à s’affranchir et à prendre leur place au soleil. Warner, c’est la science qui s’essaie à découvrir les lois de la nature, et que les masses accusent de sorcellerie, parce qu’elle utilise déjà des forces que l’ignorance du temps n’a pas encore su voir dans la réalité.

Dans la préface du Dernier des Barons, M. Bulwer avait annoncé l’intention de ne plus publier de romans. Serment d’écrivain ! Cela voulait dire, sans doute, qu’en ce moment le romancier songeait à se faire poète ; mais il avait compté sans l’empire des vieilles habitudes,