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et, après y avoir cédé une première fois en écrivant Lucrezia, il a fait paraître un nouveau roman historique, qui, du reste, pourrait bien être sorti des études où le projet de son poème d’Arthur l’avait entraîné.

Comme œuvre d’art, Harold ou le Dernier des Rois saxons se rapproche beaucoup du Dernier des Barons. Ce n’est donc un roman que par la forme. Au fond, c’est plutôt de l’histoire dramatisée. M. Bulwer s’est appliqué, avec toute la gravité de l’historien, à surprendre, à travers les récits contradictoires des chroniques du temps, l’état réel de l’Angleterre sur la fin de la période anglo-saxonne, et à donner une idée nette, bien que générale, des êtres « humains dont le cerveau s’agitait et dont le cœur battait dans ce royaume des ombres qui s’étend par-delà la conquête normande. » La narration s’ouvre à l’époque de la visite que le duc Guillaume fit à son cousin Édouard-le-Confesseur, c’est-à-dire durant l’exil du puissant comte de Wessex, le bien-aimé des Saxons et l’ennemi des Normands, dont s’entourait le roi, plus qu’à demi Normand lui-même. Le retour du comte, sa réintégration dans ses honneurs et sa mort soudaine à la table d’Édouard forment comme le préambule du drame ; puis l’intérêt se concentre autour de Harold, l’héritier du pouvoir de Godwin et le véritable héros du roman. Sa popularité et ses victoires contre les Gallois révoltés, son funeste voyage en Normandie et son élection an trône, son triomphe sur les Norvégiens entraînés par son frère Tostig à envahir l’Angleterre, et enfin sa mort sur le champ de bataille de Hastings, tous ces épisodes d’une vie si éminemment épique passent successivement sous nos yeux, et le romancier se borne à peu près à demander à son imagination les formules magiques qui font revivre les morts.

Non-seulement M. Bulwer, dans Harold, a suivi pas à pas l’histoire, mais on retrouve dans son récit les interprétations données par la science et les idées de notre siècle aux monumens de cette époque si défigurée par les chroniqueurs normands ; ses vues se rapprochent beaucoup de celles de sir Francis Palsgrave (sauf à l’égard de Harold) et beaucoup aussi de celles de M. Augustin Thierry. C’est pour les vaincus qu’est toute sa sympathie ; c’est du côté du roi élu par les witan (sages) qu’il place le droit. Cela ne saurait nous étonner. Depuis plusieurs années, la période anglo-saxonne a été solennellement réhabilitée chez nos voisins. L’Angleterre, elle aussi, a subi l’influence du grand mouvement d’où sont sortis le panslavisme, le pangermanisme et le panscandinavisme ; et, soit dit en passant, ce n’est pas un symptôme peu, significatif que cette tendance de tous les peuples de l’Europe à se reconstituer des nationalités, basées non plus sur leurs croyances religieuses ou sur les droits héréditaires de leurs princes, mais sur leurs origines et leurs traditions comme rages distinctes de la grande fa-