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immédiatement la révolution de février, des circonstances fortuites avaient cependant compliqué la situation. Certaines industries souffraient par des raisons spéciales plus ou moins difficiles à déterminer et à combattre. Ainsi, nos fabriques de soieries façonnées avaient vu se resserrer leurs débouchés au dehors, en même temps que la consommation intérieure s’était portée de préférence sur d’autres articles. L’industrie des laines ressentait des embarras attribués, par les uns, aux excès de la production, et, par les autres, à l’élévation des droits d’entrée sur les laines étrangères. Dans le nord de la France, nos filatures de lin, encore à leur début, se plaignaient d’être étouffées par la concurrence extérieure. Une nombreuse classe de travailleurs était cruellement atteinte, dans quinze ou vingt départemens, par la substitution des moyens mécaniques à l’antique procédé de la filature à la main. Appelé, comme toutes les conquêtes de cette nature, à rendre d’incontestables services, ce nouveau triomphe de l’industrie n’en causait pas moins, pour le moment, une perturbation cruelle. Dans le tissage du coton s’accomplissait une épreuve analogue, par suite de l’abandon forcé des vieux métiers pour des appareils plus perfectionnés.

La crise de 1847, suite d’une mauvaise récolte, en obligeant la France à vivre sur son capital, avait amené une forte réduction dans la consommation intérieure et notablement étendu le malaise industriel. Quand le prix des objets de première nécessité augmente, chaque famille restreint ses dépenses et s’impose des privations. Si même on observe attentivement les lois qui président au mouvement des échanges, on reconnaît que la diminution des dépenses individuelles excède en général l’augmentation résultant du renchérissement des denrées. On espérait bien, vers la fin de 1847, que, grace à une excellente récolte, la consommation reprendrait son cours interrompu. Plus on avait souffert et plus on devait avoir soif de satisfactions et de jouissances. Une année d’abondance succédant à une année de disette serait inévitablement signalée par une reprise des spéculations industrielles. Laissée à son cours normal, l’année 1848 promettait d’améliorer l’état économique du pays, et la saison du printemps s’annonçait sous des auspices favorables, quand éclata la révolution de février. Cet événement inattendu, qui s’explique mieux par les circonstances économiques que par les raisons purement politiques, surprenait l’industrie française au milieu d’une gêne et d’embarras trop réels. Forte et prospère, cette industrie n’aurait pu soutenir, sans plier, ce choc épouvantable ; affaiblie déjà, minée sur quelques points par des causes durables ou passagères, occultes ou visibles, est-il étonnant que, malgré d’héroïques efforts, elle ait été un moment atterrée par la crise ?

Tels étaient les traits principaux de la situation au moment où le gouvernement de juillet rentrait dans le domaine de l’histoire. L’industrie allait donc se trouver livrée à tous les hasards de l’imprévu, au sein d’une révolution où la témérité des hommes devait le disputer à la soudaineté des événemens ; toutes les causes de faiblesse allaient être mises au grand jour. C’était une terrible et solennelle expérience. Aujourd’hui, bien que la crise dure encore, on peut croire qu’elle a traversé sa plus orageuse période. Le moment est donc venu de l’analyser. Si l’on veut qu’elle laisse derrière elle autre chose que des ruines, il faut interroger, sans hésitation comme sans faiblesse, une situation qui, au