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civiliser du jour au lendemain les peuples ou sauvages, ou demi-sauvages, ou demeurés stationnaires par une raison quelconque. À la logique positive d’aujourd’hui, les intelligences des populations primitives dont nous tirons notre civilisation auraient été aussi closes que le seraient celles des Cafres ou des Caraïbes contemporains.

En ceci, M. Mill n’a pas manqué à son habituelle sagacité, et ce qui, étant inconcevable à une époque, cesse de l’être à une époque subséquente lui a fourni des considérations intéressantes, « Il fut longtemps admis, dit-il, que les antipodes étaient impossibles à cause de la difficulté de concevoir des hommes ayant la tête dans la même direction que nos pieds. Et un des argumens courans contre le système de Copernic fut que nous ne pouvons concevoir un espace vide aussi grand que celui qui est supposé par ce système dans les régions célestes. L’imagination des hommes ayant été constamment habituée à considérer les étoiles comme attachées solidement à des sphères matérielles, il lui fut naturellement très difficile de se les figurer dans une situation différente et, à ce qu’il semblait sans doute, peu rassurante ; mais les hommes n’avaient pas le droit de prendre la limite actuelle de leurs facultés pour une limite définitive des modes de l’existence dans l’univers. » Il n’est personne qui ne se rappelle, pour peu qu’il ait gardé des souvenirs de son enfance, le temps où il lui était absolument impossible de concevoir la rondeur de la terre et les antipodes. Ce qui est vrai de l’enfance des individus est vrai de l’enfance des peuples.

L’exemple suivant est d’autant plus décisif qu’il offre, dans Newton lui-même, cette impossibilité de se figurer une chose qu’aujourd’hui chacun se figure sans peine. « Il n’y a pas plus d’un siècle et demi, dit M. Mill, c’était une maxime philosophique, admise sans conteste, et dont personne ne songeait à demander la preuve : Qu’une chose ne peut pas agir là où elle n’est pas. Avec cette arme, les Cartésiens firent une rude guerre à la théorie de la gravitation, laquelle, suivant eux, impliquant une aussi palpable absurdité, devait être rejetée sans examen le soleil ne pouvait agir sur la terre, puisqu’il n’y était pas. Il n’était pas surprenant que les adhérens des anciens systèmes d’astronomie soulevassent cette objection contre le nouveau ; mais la fausse notion imposait aussi à Newton lui-même, qui, pour émousser l’argument, imagina un subtil éther emplissant l’espace entre le soleil et la terre, et étant, par un mécanisme intermédiaire, la cause prochaine des phénomènes de la gravitation. Il est inconcevable, dit Newton dans une de ses lettres au docteur Bentley, qu’une matière brute et inanimée puisse, sans l’intermédiaire de quelque autre chose qui ne soit pas matérielle, agir sur de la matière hors le cas d’un contact mutuel. Admettre que la gravité soit innée, inhérente, essentielle à la matière, de sorte qu’un corps agisse sur un autre à distance, à travers un vide, sans l’intermédiaire de quelque