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les manufactures sont peu nombreuses. Les intérêts agricoles ou parfois les intérêts du petit commerce y dominent toute autre influence. Les départemens de la Corrèze, du Cantal et de la Haute-Loire terminent, du côté du midi, par un demi-cercle pauvre et déshérité, cette zone, où resplendissent, à l’extrémité opposée, tant d’industries somptueuses, tant d’arts délicats, tant de richesses amoncelées.

Pour se rendre compte des coups que l’industrie française a reçus en 1848, il faut se reporter au moment où la crise sévissait avec le plus de rigueur dans les principales fabriques de chaque région. On peut alors toucher le mal du doigt et asseoir sur la base solide des faits une appréciation générale. En commençant par le département du Nord, qui mérite bien cette préférence, quels ont été les effets de la tourmente sur les plus importantes industries locales, la filature et le tissage du coton, du lin et de la laine ? La filature du coton compte à Lille trente-quatre établissemens considérables, dont le capital en bâtimens et matériel ne saurait être évalué à moins de 7 ou 8 millions de francs. La fabrication des tulles y occupe en outre deux cent quatre-vingt-quinze métiers, qui ont coûté plus de 1,300,000 francs. La production de ces deux industries durant la crise descend de plus de moitié au-dessous du chiffre des années précédentes. La réduction se mesure encore sur une échelle plus large pour la filature du lin, qui possède ici quarante-neuf établissemens, employant cent huit mille broches, dix mille ouvriers, et roule sur un capital d’au moins 20 millions pour le matériel seulement. Les commandes militaires ont seules entretenu quelque activité dans les ateliers d’Armentières et d’Halluin. Récemment introduite chez nous, la filature du lin fléchissait, il est vrai, avant même la révolution de février, sous la concurrence étrangère.

Tourcoing et Roubaix sont, dans le nord, les siéges principaux de l’industrie lainière. Remarquable par ses ateliers pour le peignage des laines et la filature des laines cardées, ainsi que par quelques manufactures d’étoffes et de tapis, la ville de Tourcoing se recommande encore comme un vaste marché où se pressent les laines françaises et étrangères. Sur douze mille travailleurs que les fabriques y occupaient, huit mille environ ont été presque entièrement privés d’ouvrage. Roubaix a vu ses magasins s’encombrer des élégans tissus de laine auxquels cette ville doit sa fortune et sa rapide renommée[1]. La fabrication s’y est ralentie, durant les mois de mars, avril et mai, d’un tiers sur la fabrication de 1847, et la consommation a diminué des deux tiers.

Les diverses industries du département du Pas-de-Calais, envisagées d’un point de vue général, paraissent un peu moins cruellement frappées. La fabrication des huiles, à laquelle concourent plus de cent quatre-vingts usines dans les arrondissemens d’Arras et de Béthune, bien qu’atteinte par la subite dépréciation de la graine d’œillette et du colza à un moment où les approvisionnemens venaient d’être faits aux anciens cours, a traversé le plus fort de la crise avec beaucoup de fermeté, et a conservé la plus grande partie de ses ouvriers. Il n’en a pas été de même de douze ateliers de construction de machines et de

  1. La laine emploie à Roubaix trente mille ouvriers, et donne lieu à une production annuelle de 25 millions de francs. La filature et le tissage du coton vont aussi de l’importance et occupent seize mille ouvriers, qui produisent pour 5 millions de marchandises.