Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/1052

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fonderie qui existaient à Arras ou à Béthune presque tous ont été contraints de suspendre leurs travaux ; mais le plus considérable était en liquidation avant la chute du dernier gouvernement.

Atteintes déjà par la redoutable rivalité des tulles, la fabrication de la dentelle et celle des toiles de batiste succombent sous une baisse de 25 pour 100. Les ateliers de bonneterie de l’arrondissement de Boulogne, dont le siége principal est à Hesdin, réduisent des deux tiers leur production accoutumée. La superbe filature de lin de Capécure, fondée en 1836, qui était à la tête de huit mille broches et occupait près de dix-huit cents ouvriers, vainement secourue par le conseil municipal de Boulogne, par la chambre de commerce, par les banques locales, cède enfin à la tempête après une lutte désespérée. À Calais et Saint-Pierre-lez-Calais, la même industrie, partagée entre trois établissemens, livrant par an au commerce pour 2 millions de produits, ne réalise pas une seule vente du 24 février au 15 avril 1848, et finit aussi par licencier les quinze cents ouvriers qu’elle faisait vivre. Dans le département de la Somme, l’arrondissement d’Abbeville excepté, la filature du coton, de la laine et du lin, les velours de coton, les tissus de laine pure et mélangée, la bonneterie de laine et de coton dite de Santerre et les toiles dites de Picardie, fournissaient du travail à environ cent quarante-deux mille ouvriers. Celles de ces fabrications qui s’adressent aux classes riches, telles que les tissus de laine, et dont les dessins varient à chaque saison, ont été condamnées à une inertie complète ; les autres ont restreint leur mouvement dans la proportion d’un tiers. L’état de l’arrondissement d’Abbeville se dessine sous des traits particuliers : là s’exerce dans les campagnes une industrie curieuse et traditionnelle, celle de la serrurerie appelée serrurerie de Picardie, dont les produits montent à près de 4 millions de francs, et qui transforme les cantons de Moyenneville, de Gamaches, de Saint-Valéry et d’Ault en une sorte de vaste atelier. Il n’est pas une chaumière qui n’ait ses feux et ses étaux. Les articles fabriqués se vendent habituellement au fur et à mesure de la confection ; grossièrement travaillés, ils perdraient bientôt en magasin une forte partie de leur valeur. Après la révolution de février, plus de commandes et par conséquent plus de travail. Poussés hors de chez eux par la misère, les serruriers des campagnes se répandaient pour mendier dans les cantons voisins, et présentaient aux regards une image de la malheureuse Irlande.

Des démonstrations violentes avaient éteint un moment dans la Seine-Inférieure les dernières lueurs d’une activité industrielle à peu près égale, en temps ordinaire, à celle du département du Nord. À Rouen et aux environs, la filature, le tissage, l’impression et la teinture du coton fournissent à la consommation intérieure et à l’exportation une masse de produits divers évalués à plus de 250 millions de francs. Deux cent soixante-dix filatures, trente-deux établissemens de tissage ; quarante-trois fabriques d’indiennes, soixante-quinze teintureries, alimentent un nombre considérable de fonderies, de tanneries, de corroieries, de fabriques de produits chimiques, d’ateliers pour la construction des machines, pour le blanchiment et l’apprêt des étoffes. La filature, le tissage et la teinture de la laine rivalisent à Rouen, à Darnetal, et surtout à Elbeuf, avec l’industrie cotonnière. Si l’on excepte la période heureusement fort courte où le désordre matériel avait anéanti toute production, les indiennes ont été à Rouen moins péniblement affectées que les rouenneries proprement dites. Les indiennes