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encore des raisons d’inquiétude et de trouble qui, survivent au bouleversement politique. Un mauvais germe, couvé depuis long-temps et éclos sous l’atmosphère embrasée de la révolution, agit comme un fâcheux dissolvant au sein du corps industriel. C’est là un mal plus grand que l’immobilité temporaire des métiers, et qui oblige à rappeler quelques vérités fondamentales.

Considérée dans son essence même, l’industrie est un moyen de rapprochement et d’union. Plus elle étend ses triomphes sur le monde matériel, et plus les hommes sentent le besoin qu’ils ont les uns des autres. Rien de plus juste que de réprouver, au nom de ces idées, les institutions arbitraires qui tendent à diviser les élémens de la société industrielle et sèment ainsi la défiance et l’hostilité ; mais partir de là pour nier que l’industrie ait besoin du concours de forces différentes ayant chacune ses conditions essentielles, c’est méconnaître les exigences complexes de la production. Les théories qui attaquent soit de front, soit par des voies détournées, l’existence même d’un élément aussi nécessaire que le capital, aboutissent forcément à la ruine de l’industrie. Est-il d’ailleurs une preuve plus convaincante de la nécessité de cet élément, sous une forme ou sous une autre, que l’évidente stérilité des combinaisons inventées pour suppléer à son absence ? Au sein de ces régimes imaginaires, le travail, qu’on s’imaginait favoriser, s’alanguit bientôt, faute d’un stimulant énergique. Au lieu de chercher seulement à contenir l’abus de l’influence du capital, on a, par une synthèse imprudente, éteint un des principes indispensables à la vie industrielle.

On peut s’étonner qu’il faille discuter sérieusement une erreur aussi palpable, qui attaque bien moins encore les existences établies que les intérêts de la civilisation universelle, et qui anéantit l’industrie, c’est-à-dire un des meilleurs moyens d’atteindre au but suprême de toute société, la participation du plus grand nombre aux avantages sociaux. On se demande comment une telle erreur a pu faire assez de progrès pour causer quelque inquiétude au gouvernement actuel. La réponse est facile : c’est que, fils du XVIIIe siècle et de la révolution française, nous sommes pétris de leurs enseignemens, qui peuvent se résumer en un mot : l’égalité. Nous portons de plus au dedans de nous-mêmes un désir très naturel et très légitime, quand il est contenu comme tous nos instincts ont besoin de l’être : le désir d’améliorer notre sort. Les doctrines qui ébranlent l’ordre social, en cherchant à dissoudre les élémens du corps industriel, font appel à ces deux sentimens. Elles les irritent, elles les égarent et y puisent une force incalculable. S’adressant généralement à des hommes dont l’intelligence n’est pas assez exercée pour distinguer les fausses conséquences d’une idée de ses corollaires légitimes, elles réussissent sans peine, en promettant le bonheur, à éblouir les yeux et à entraîner les esprits. L’ordre social échappera sans aucun doute aux coups dont il est assailli. Toutes les pages de l’histoire nous l’enseignent : les épreuves successives, même les plus douloureuses, que l’humanité traverse, profitent en définitive au triomphe de la vérité ; mais quelle digue la société peut-