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elle opposer au torrent ? Si les grands principes qui forment sa base sont éternellement vrais, quelle en sera l’égide et la sauvegarde ? Comment abréger les temps difficiles et hâter le jour du triomphe ? Faut-il heurter de front les deux idées qui sont à la racine des utopies contemporaines ? Ce serait s’exposer soi-même à sortir des voies de la justice et prêter à ses adversaires de nouveaux moyens de séduction. Le pouvoir social dispose d’une arme plus infaillible ; sur le terrain de ceux qui l’attaquent, il sera bien plus fort qu’eux quand il voudra résolûment user de sa force. Ils y portent des rêves ; il peut y porter des réalités. Son action intelligente peut développer efficacement les conditions du bien-être, soit dans l’ordre moral, soit dans l’ordre matériel. C’est donc en dernière analyse dans les sentimens invoqués pour la renverser que la société trouvera son affermissement, car elle a seule les moyens de les satisfaire dans toute la limite du juste et du possible.

L’exemple du gouvernement de juillet doit nous éclairer sur certaines exigences qu’il avait méconnues et nous prémunir contre les fautes dans lesquelles il était tombé. Rien n’avait été essayé pour ralentir le mouvement qui poussait l’industrie à s’agglomérer dans les grands centres de population où la vie est si incertaine et la misère si fréquente. Des études récentes ont nettement mis en saillie l’urgente nécessité de favoriser sous ce rapport, dans l’intérêt des familles ouvrières et de la moralité publique, l’éparpillement des manufactures[1]. Après les expériences que nous avons traversées ; il serait en outre impardonnable de s’abandonner aux exagérations du système manufacturier. En stimulant la production au-delà des justes bornes, on augmente les vicissitudes inhérentes à la vie industrielle, on grossit les mauvaises chances de cette vaste loterie où tant d’existences sont intéressées. Depuis une année, l’excès a été cruellement réprimé ; l’over-production, comme disent les Anglais, a disparu dans un abîme. Les établissemens créés dans des conditions défavorables, qui vivaient d’une vie factice, sont anéantis. S’il était permis de chercher une consolation aux calamités qui nous ont atteints, nous la verrions dans un fait incontestable, c’est que la tempête a nettoyé la voie et laissé la place libre pour une production appropriée aux véritables besoins. Il devient plus facile dès-lors de modérer et de guider le mouvement de l’industrie ; mais à cette mission correspond la tâche de porter notre éducation commerciale, trop long-temps négligée, au niveau de notre éducation industrielle.

Cette œuvre, dont l’importance est aujourd’hui parfaitement appréciée, entraîne-t-elle pour le gouvernement l’obligation de se substituer aux entreprises individuelles ou de subventionner des compagnies ? Assurément non ; nous avons vu les inconvéniens indissolublement attachés à ces modes factices de ranimer la vie commerciale. Nécessairement complexe comme les grands intérêts qu’elle concerne, l’action du pouvoir sur le commerce suppose d’abord que tous les services qui tendent à mettre le pays en communication avec les autres peuples seront organisés en vue de garantir la rapidité et la sécurité des relations. Ainsi, en Angleterre, les postes, les grandes lignes de paquebots transatlantiques, les canaux, les chemins de fer, etc., répondent visiblement à un mouvement

  1. Voyez le rapport sur les Classes ouvrières en France pendant l’année 1848 par M. A. Blanqui, 2 vol. in-18, chez Firmin Didot.