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pareille entreprise, fatigues sous le poids desquelles l’Américain ne fléchit jamais. Le 14 juillet, près d’un mois après le départ d’Austin, la caravane avait fait halte sous l’ombre d’une ceinture de chênes qui bordait une vallée dans laquelle serpente un fleuve aux eaux saumâtres, le Brasos. Là, pour la première fois, les aventuriers contemplèrent un terrible spectacle, l’incendie d’une prairie, sans pouvoir reconnaître si l’accident était fortuit ou bien causé par la main de l’homme. Des nuages d’une fumée noire obscurcissaient le ciel ; au milieu de ces spirales épaisses, la flamme dardait des lueurs sinistres qui s’épandaient partout comme un torrent débordé. Les hautes herbes desséchées pétillaient en s’enflammant avec la rapidité de la foudre. Le vent roulait de droite et de gauche ces vagues de flamme que rien ne pouvait arrêter, et qu’on voyait envahir en un clin d’œil la crête des collines les plus élevées. De tous les fléaux des prairies, celui qu’on nomme fléau de feu est le plus redoutable ; autant vaudrait essayer d’entraver la marée montante ; un changement de vent peut pousser contre vous une mort inévitable, ou consumer au loin, sur un espace de plusieurs milles, la surface végétale des terrains que vous allez parcourir. Heureusement pour la caravane, l’incendie suivait son cours vers la gauche et laissait intactes les prairies situées sur la route qu’on se proposait de suivre. Pendant toute la nuit, une traînée de flamme balaya la prairie en éclairant l’horizon de lueurs rougeâtres, et, le matin suivant, la colonne de feu escaladait encore la chaîne des collines qui séparent la prairie des bas-fonds où coule le Brasos.

Cet incendie semble être pour la caravane un fâcheux présage. Dès ce moment, en effet, commence pour les malheureux voyageurs une série de désastres. L’eau devient plus rare. Un vieux capitaine de la compagnie des batteurs d’estrade, M. Caldwell, chargé d’explorer la route en avant des chariots, de choisir les endroits les plus favorables pour les diriger et de rechercher les traces des Indiens, se replie sur le gros du convoi pour annoncer qu’on vient de découvrir un campement de sauvages qui ne semble abandonné que depuis quelques heures. Plus loin, on a trouvé le crâne d’un homme blanc tout récemment égorgé. Enfin, il est évident que la caravane est arrivée au centre des tribus hostiles, et on redouble de précautions le jour comme la nuit. Des ordres sévères sont donnés pour prévenir toute surprise. C’est ainsi qu’on atteint la lisière d’immenses forêts bien connues des trappeurs et des chasseurs américains sous la dénomination devenue célèbre de cross timbers[1]. Ces forêts s’étendent du nord au sud et de l’est à l’ouest, sur une largeur qui n’est guère moindre de quarante à cinquante milles. Elles occupent un sol crevassé et montueux sur lequel

  1. Forêts transversales.