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l’après-midi, sans avoir un seul instant hésité sur la direction à suivre ; ils parvinrent à la Cuesta. Les environs étaient déserts en apparence ; mais à peine les voyageurs étaient-ils parvenus au milieu d’une petite plaine à l’entrée du village, qu’un détachement de cavalerie mexicaine les entoura. Le commandant de cette troupe, don Dimasio Salazar, s’avança vers les Américains stupéfaits, et, en leur donnant le titre d’amigos, leur demanda si, par hasard, ils ne venaient pas du Texas. Le capitaine Lewis répondit affirmativement, et témoigna le plus vif désir d’être admis auprès du gouverneur. Salazar s’inclina en disant que tout était pour le mieux ; puis, faisant déployer autour de lui un cercle de chevaux, d’hommes et de lances, il ajouta courtoisement qu’il n’était pas conforme aux usages des nations civilisées d’entrer sur un territoire étranger les armes à la main, et qu’il espérait, tout en regrettant de s’y voir contraint par des ordres sévères, que les voyageurs ne verraient nul inconvénient à rendre leurs épées et leurs armes à feu. Il y avait à cela mille inconvéniens ; mais que faire devant la supériorité du nombre, et comment ne pas se rendre à l’invitation d’un chef aussi courtois que le capitaine Salazar ? Celui-ci, qui paraissait accomplir seulement une formalité banale, ne laissa voir sur sa figure que l’expression de la plus parfaite indifférence. J’avoue qu’à la place de M. Kendall cette froideur apparente m’eût inquiété ; mais il n’en était encore qu’aux premiers rudimens de cette science compliquée du cœur mexicain, dont toute une vie de voyageur ne suffit pas toujours à épuiser les mystères.

Pendant ces pourparlers, une foule compacte et attentive avait entouré les étrangers. Une seconde requête de Salazar, non moins courtoise que la première, eut pour but de demander aux Américains la permission de visiter leurs papiers et leurs poches : tels étaient les ordres du gouverneur. Salazar, comme on le voit, portait jusqu’au scrupule l’obéissance à sa consigne. Un homme qui a livré ses armes n’a généralement plus rien à refuser. Les papiers, l’argent et les autres objets que contenaient les poches des Américains furent donc enveloppés dans un mouchoir et mis en sûreté ; mais on n’en avait point encore fini, à ce qu’il paraît, avec les formalités prescrites par le gouverneur, car, sur un ordre du capitaine, un peloton de douze hommes, armés de carabines ou de vieux fusils, vint se ranger devant les voyageurs. Il n’y avait plus à s’y méprendre : les Américains n’étaient pas seulement prisonniers, mais leur vie même était menacée, à en juger, par l’air consterné, par les sombres regards des soldats qui les entouraient, et surtout par l’effroi des curieux, que la manœuvre commandée par Salazar mit en déroute. Aux paroles prononcées par l’officier mexicain succédèrent quelques instans de silence. Ce fut l’Irlandais Fitzgerald qui se chargea enfin de répondre à Salazar. Fitzgerald était un