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paroles sont ailées, et une fois qu’elles se sont échappées de la prison des dents, elles volent libres et hardies partout où il y a des passions à enflammer, des souffrances à envenimer ; elles volent jusqu’à ce qu’elles aient rencontré l’action. La parole n’est souvent qu’une phrase théâtrale, heureuse de retentir dans les airs et de servir de trompette à la vanité des hommes ; mais l’action est grossière et brutale : elle a le geste impérieux, elle a le choc dur et destructif. La parole se dissipe et s’évanouit, l’action se ramasse et se grossit dans son cours ; elle écrase, ou elle se fait écraser. M. Ledru-Rollin avait crié aux armes ! C’était une phrase peut-être : l’émeute lui a répondu. En vain il a voulu, donner contre-ordre, en vain il a voulu ajourner la révolte jusqu’à son prochain discours : il n’était plus temps, la parole avait rencontré l’action ; elle n’était plus libre. Il a fallu, dit-on, que le tribun se fit le président de la révolte ; il a fallu qu’il assistât à la convention des Arts-et-Métiers ; il a fallu qu’il vît se dresser devant lui les enfans anarchiques et impuissans de sa parole. Terrible entrevue que celle du mot et du fait, quand ils se rencontrent pour la première fois, quand le fait saisit le mot et lui enjoint d’être autre chose qu’un bruit et qu’un son ! Nous ne voulons pas répéter tout ce qui se dit et ce qui se raconte ; nous attendrons l’instruction qui se fera sur la journée du 13 juin et qui en éclaircira tous les détails. Il y a eu des proclamations au peuple signées, dit-on, par cent ou cent trente représentans : quels sont ces représentans ? ont-ils signé ? ont-ils autorisé de leur nom cet appel à la force ? Aujourd’hui à la tribune, ils s’empressaient de dire que non ; nous verrons l’instruction. Il y a eu des protestations dans la garde nationale, et ces protestations ont été signées par des officiers ; il faut savoir ce que voulaient ces officiers, qui se servaient de leur grade, contre la loi et contre l’ordre. Il y a eu une convention qui a délibéré aux Arts-et-Métiers : qui l’a convoquée ? qui s’y est rendu ? Il y a eu des décrets et des mises ; hors la loi : qui a rédigé et signé ces actes ? Il y a eu un gouvernement nommé : quels en étaient les membres ? La société demande justice. Elle a compris une fois de plus qu’il y a dans son sein une tribu vagabonde et audacieuse, une Bohème démagogique qui ne reconnaît ni loi ni règle, qui est toujours prête à mettre à la loterie de la révolte, parce qu’il lui suffit d’un seul gain pour tout emporter. Jeu de dupes, en vérité, que le nôtre, puisque nous sommes condamnés à ne jamais faire une faute, sous peine de tout perdre ; jeu de dupes, parce que leur enjeu n’est rien et que le nôtre est tout ! Il en est ainsi, dira-t-on, dans toutes les guerres. Oui ; mais, dans la guerre, on s’arrange pour réduire à l’impuissance l’ennemi qu’on a vaincu. Chez nous, quand l’ennemi est vaincu, il va tranquillement se réfugier dans les lois et dans les institutions, comme dans une place de sûreté ; il y refait ses forces, et quand il est prêt et qu’il croit nous trouver en défaut, il recommence ses invasions. Rien ne ressemble à la guerre que nous faisaient les Arabes en Afrique comme la guerre que nous fait la démagogie. Nous nous contentons de nous défendre dans nos villes, mais nous ne songeons pas encore à prendre l’offensive. Nous chassons Abd-el-Kader quand, il nous attaque ; nous ne songeons pas encore à l’attaquer et à lui ôter les moyens de nous nuire. Est-ce que la démagogie n’a pas ses places de guerre, ses ravitaillemens, ses soldats réguliers, son organisation ? Est-ce que nous ne savons pas ce qui fait sa puissance et nos dangers ? La guerre d’Afrique, a eu