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l’Allemagne une chance de liberté et d’indépendance, nous nous y tournons avec empressement. C’est là ce qui, en ce moment, nous rend favorables à la politique de la Prusse. Peut-être est-ce encore une illusion. Peut-être la Prusse ne pourra-t-elle pas ce qu’elle veut, ou peut-être même ne veut-elle pas ce qu’elle semble vouloir. Si nous sommes dupes de nos espérances, peu nous importe. Ce qui nous semble difficile encore par le temps qui court, ce n’est pas la défiance et la misanthropie ; elles sont, hélas ! trop naturelles : ce qui nous semble difficile, c’est l’espérance ; nous estimons donc ceux qui espèrent.

On sait comment la Prusse a refusé la couronne impériale et n’a pas voulu reconnaître la constitution on sait comment elle a rompu ouvertement avec l’assemblée de Francfort. Si la Prusse s’en était tenue à cette rupture, sa politique eut été toute négative. Elle aurait nié le libéralisme allemand, nié l’unité possible de l’Allemagne, nié l’esprit du temps dans ce qu’il a de légitime ; elle se serait donnée corps et ame à la réaction exagérée, et, n’ayant pas voulu se laisser médiatiser par la liberté à Francfort, elle se serait laissé médiatiser par le despotisme septentrional. Entre ces deux extrêmes, la Prusse a cherché sa route, et elle en a trouvé une.

Alors même qu’elle refusait de reconnaître la constitution, la Prusse proposait à l’assemblée de Francfort de s’entendre sur les modifications qu’il fallait faire à la constitution elle témoignait ainsi de son adhésion à l’unité de l’Allemagne elle gardait enfin des liens avec le libéralisme allemand. Seulement elle repoussait le libéralisme de Francfort, parce que ce libéralisme se laissait chaque jour davantage entraîner par la démagogie. Ce sentiment n’était point particulier au gouvernement prussien ; l’élite de la nation prussienne le partageait. « Nous aussi, disait la première chambre des états de Berlin dans une circulaire aux électeurs publiée après la dissolution de la seconde chambre, nous aussi nous voulons une Allemagne unie et puissante ; nais nous pensons que cette grande œuvre ne peut réussir que par l’accord et un développement régulier, et non par le renversement violent de tous les rapports établis. »

Au fond, la lutte entre la Prusse et l’assemblée de Francfort était la lutte entre la monarchie et la république. Seulement une bonne partie de l’assemblée ne le savait pas et croyait qu’il s’agissait toujours de la cause de l’unité germanique. C’était là le mot qui était en jeu ; mais sur ce point aussi la Prusse avait une doctrine de transaction ; elle ne répudiait pas absolument l’unité de l’Allemagne, seulement elle ne la concevait pas comme le faisait Francfort. La Réforme allemande, un journal qui, à Berlin, avait pendant long-temps défendu avec talent la cause de l’unité, et qui ne l’avait abandonnée que lorsqu’il avait vu que cette cause devenait celle de la république, la Réforme allemande opposait à l’état unitaire rêvé à Francfort l’état fédératif, et démontrait que cet état constituait l’unité que souhaitait l’Allemagne. Le libéralisme allemand changeait donc peu à peu non pas de pensée, mais de penchant ; il s’éloignait des libéraux de Francfort, parce qu’ils se laissaient duper et entraîner par les républicains, parce qu’ils voulaient une unité trop systématique et trop absolue, parce qu’enfin ils déclaraient que la constitution qu’ils avaient faite était la loi définitive de l’Allemagne. Pour aider à ce mouvement qui se faisait dans l’opinion des libéraux allemands, que fallait-il ? Il fallait leur ouvrir une autre voie, qui les menât