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trop prêté au contact de la démagogie, nous sommes heureux de le voir se relever et recommencer une nouvelle carrière. Pourtant notre prédilection pour la Prusse libérale ne va pas, jusqu’à souhaiter que la Bavière, Bade et le Wurtemberg s’absorbent et disparaissent dans la Prusse. Il y a dans la bienveillance que l’ancienne France a toujours témoignée aux états secondaires de l’Allemagne une tradition à conserver et à avouer. Dans l’intérêt de l’indépendance européenne, nous souhaitons que la Prusse soit grande et forte, et nous voyons avec plaisir que pour elle en ce moment le meilleur moyen d’être grande et forte, c’est d’être libérale.




Nous avons dit, et nous ne saurions trop redire, que la Russie n’intervient pas dans les affaires d’Autriche avec l’ardeur militaire que l’on est porté à lui supposer sur sa réputation de colosse. Depuis plusieurs mois, l’intervention nous est annoncée chaque matin comme un fait accompli. Si l’on en croyait les récits de certaines feuilles, deux cent mille hommes auraient, de compte fait, débouché par les défilés les plus étroits et les plus abrupts des Karpathes, suivis d’on ne sait quel nombre de bouches à feu. Comme bien on pense, les Magyars n’auraient pas manqué de s’y trouver par des marches fabuleuses et des prodiges d’ubiquité ; les Russes auraient été partout culbutés, écrasés, au point qu’il n’en resterait nulle trace. Aussi a-t-on toutes les peines du monde à rencontrer çà et là le drapeau russe sur le territoire hongrois. C’est l’explication que les Magyars se plaisent à donner de la lenteur avec laquelle s’avance l’armée russe. La vérité est que les Russes n’ont point encore livré d’engagement sérieux, qu’à peine se trouvent-ils aujourd’hui en ligne, et qu’ils n’ont point hâte de s’y mettre. Ce n’est pas sans un effort laborieux et pénible que la Russie tire de son sein les cent cinquante mille hommes qui devraient depuis si long-temps camper sur les bords du Danube, et qui n’y arrivent que par petits corps et pour assister les bras croisés à un échec du nouveau général en chef autrichien. Haynau.

Charles XII rejeté à Bender et Napoléon repoussé de Moscou montrent suffisamment, par ces catastrophes de deux grandes fortunes, combien la Russie est solide sur la défensive. Il n’y a peut-être que la révolution, sortant tout armée du sol, qui puisse avoir raison de la Russie chez elle, et la révolution, qui ne demanderait pas mieux sans doute que de lever la tête, a été par prévoyance entièrement désarmée. La Russie n’est donc attaquable que par une guerre qui permettrait à la Pologne de s’armer, de se soulever et de briser le joug de la conquête. Mais que la Russie franchisse sa frontière, elle perd ses avantages ; c’est à grand’ peine qu’elle a triomphé de la Turquie, en 1828, au moment où cet état, alors chancelant, était en proie aux insurrections, et n’avait pas encore d’armée qui pût remplacer ses janissaires. En 1830, lorsque les gouvernemens absolus projetèrent de former une nouvelle coalition contre la France, la Russie n’offrait que cent, quatre-vingt mille hommes, dont le mouvement fut bientôt, paralysé par l’insurrection polonaise. L’immensité de l’empire, qui n’est point sans, exiger quelque surveillance depuis que les paysans russes entendent