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l’équilibre européen mis aujourd’hui en danger par la propagande russe. Oui, le premier intérêt de la France, c’était beaucoup moins de faire éclore des démocraties et des nationalités en serre-chaude que d’écarter, de refouler loin de l’Occident l’action de la Russie. On le pouvait diplomatiquement ; on ne l’a pas voulu. On a donc livré l’Autriche et la Turquie aux Russes ; on leur a jeté une partie des populations slaves dans les bras. C’est pourquoi nous disons que l’on a armé la Russie d’une grande force morale, et c’est pourquoi, sans nous soucier beaucoup de son armée, qui n’est pas aussi redoutable que l’on aime à le dire, nous craignons l’extension de son influence, infiniment plus active et plus puissante qu’on ne le veut croire.

L’Angleterre ne se ressent point à l’intérieur de l’émotion produite en Europe par l’esprit révolutionnaire. Les doctrines des whigs ont pu être quelquefois en contradiction avec celles des tories sur la nécessité de réformer telle ou telle partie de la constitution ; elles ont bien rarement différé sur le principe historique de cette constitution, et aujourd’hui les whigs, les auteurs de la réforme parlementaire de 1832, ne sont pas beaucoup moins empressés que les tories à repousser toute proposition qui aurait pour but de développer cette réforme. La chambre des communes en a récemment donné la preuve à M. Hume. M. Hume demandait 1° l’extension de la franchise électorale, 2° le secret du vote, 3° la triennalité du parlement, 4° une répartition plus équitable dans le nombre des représentans de chaque comté. Il s’est trouvé 82 voix seulement contre 268 pour appuyer cette motion. Ce vote laisse peu d’espoir à quiconque voudrait présentement se faire le patron d’une réforme politique. Non, les idées abstraites, les innovations d’après l’idéal ne sont point la préoccupation de l’Angleterre. Au temps de sa jeunesse, M. Guizot comparait, avec beaucoup de raison, l’Angleterre « à l’aigle qui, les ailes ployées, bâtit, répare, embellit son aire, et néglige de reprendre son vol vers les régions du soleil. » Mais si l’Angleterre n’a point comme nous la prétention de s’être élevée à la contemplation des vérités éternelles et d’avoir renouvelé la tentative de Prométhée pour apporter à l’humanité le feu, la lumière, la vie, la vraie liberté, ce grand pays possède en revanche un sentiment précieux qui nous manque depuis tant d’années, le sentiment de la légalité, le sentiment politique, le dévouement, l’esprit de sacrifice. C’est par ces vertus, au contact desquelles se forment les hommes d’état, que la constitution anglaise, si défectueuse, si injuste soit-elle en tant de points, peut suffire encore à tempérer les exigences politiques du parti radical et à bien gouverner. Or, la meilleure constitution, dit lord John Russell combattant la motion de M. Hume, c’est celle qui peut assurer au pays le meilleur gouvernement.

En réalité, les préoccupations du cabinet whig sont plutôt administratives que politiques. Questions de marine, questions de chemins de fer, questions d’impôts, question éternelle du paupérisme : tel est l’objet principal des débats du parlement. Les questions coloniales ont aussi pris, depuis quelques mois, une grande extension. Après des vicissitudes militaires qui avaient motivé le rappel du vieux général en chef de l’armée des Indes, lord Gough, au profit de celui que l’on est convenu d’appeler le héros du Scinde, sir Charles Napier, le protégé du duc de Wellington, la victoire est revenue sous les drapeaux de lord Gough, et le nouveau général en chef en a pu apprendre en chemin la