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— Sans parler des fées qui habitent les environs de Dieppe, repris-je.

— Au haut de la grande côte, près du village de Puys, interrompit le postillon. C’est là que se tient la foire de la cité de Limes, où les dames blanches mettent en vente des herbes magiques, des rayons de soleil montés en bague et des lueurs de lune roulées comme de la toile de Laval. Elles vous invitent à acheter avec autant de mignonneries que les dentelières de Caen, et, si vous approchez, elles vous lancent dans la mer. J’ai eu un cousin qu’on a trouvé mort ainsi au bas de la falaise.

Je fis remarquer à mon compagnon de voyage comment les mythologies norses, païennes et celtiques se trouvaient mêlées dans nos traditions populaires. Qu’étaient, en effet, toutes ces fées ravissant les nouveau-nés à leurs mères, et attirant les imprudens dans leurs piéges, sinon les sœurs des nymphes que Théocrite appelle déesses redoutables aux habitans des campagnes, parce qu’elles enlèvent les enfans près des sources et qu’elles entraînent les jeunes bergers au fond de leurs grottes humides ? Comment ne pas reconnaître, dans ces rondes de nuit auxquelles préside un génie, les danses des Alfes scandinaves conduites par le stram-man ou homme du fleuve ? Enfin, ces dangereuses marchandes de talismans et de trésors ne rappelaient-elles point les Barrigènes gauloises vendant aux matelots la richesse, la santé et les beaux jours ?

— Vous pouvez ajouter, me dit le Provençal, que, dans nos contrées, cette triple origine est encore plus visible. Chez nous, les Blanquettes changent de forme à volonté et apaisent ou excitent les tempêtes, ainsi que le faisaient les prêtresses celtiques ; elles dansent au clair de lune comme les vierges de l’Edda, en faisant croître à chaque pas une touffe de fenouil, et président au sort de chaque homme à la manière des destinées antiques. Toutes les maisons reçoivent leur visite dans la nuit qui précède le nouvel an. Avant de se coucher, chaque ménagère dresse une table dans une pièce écartée, elle la couvre de sa nappe la plus fine et la plus blanche, elle y dépose un pain de trois livres, un couteau à manche blanc, un peu de vin, un verre et une bougie bénie qu’elle allume avec une branche de lavande empruntée au brandon de la Saint-Jean, puis elle ferme la porte et se retire, comme on dit, à pas de renard. Le dernier coup de minuit sonné, les Blanquettes arrivent brillantes et légères comme des rayons de soleil ; chacune d’elles porte deux enfans ; l’un, qu’elle tient sur le bras droit, est couronné de roses et chante comme l’orgue : c’est le bonheur ; l’autre, assis sur le bras gauche, est couronné de joubarbe arrachée des toits avant la floraison[1] et pleure des larmes plus grosses que des perles : c’est le

  1. La joubarbe (semper vivum tectorum) est regardée, dans le Midi, comme une plante protectrice. L’arracher de dessus les toits porte malheur.