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la malédiction sur le logis en détruisant les nids d’hirondelles. Le mari a beau appeler le pary[1] pour faire aux quatre angles de la maison les conjurations qui éloignent le renard, son poulailler est dévasté chaque nuit ; il suspend en vain dans ses étables des peyros dé picoto (pierres de petite vérole), ses moutons meurent l’un après l’autre ; enfin la ruine arrive et avec elle les hommes de loi. Alors la belle mariée, qui a su se faire écrire un contrat par lequel on lui reconnaît une grosse dot, réclame ses droits, laisse vendre le reste et part en recommandant son mari à saint Plouradou[2].

Je reconnus dans le Saurimonde le Prownie des Écossais, génie non moins séduisant au besoin et tout aussi dangereux, dont on n’est à l’abri que la veille de la Toussaint, à cette fête de Hallowen, pendant laquelle les esprits intermédiaires ne peuvent nuire aux hommes. Mon compagnon m’apprit que les méridionaux n’avaient jamais cette trêve de Dieu, mais que, la veille des Rois, on sortait des maisons avec des clochettes et des vases d’airain pour que le bruit chassât les fantômes nocturnes. C’était encore ici un souvenir de la fête romaine des Lémuries.

Tout en causant, nous avions continué à suivre l’espèce de route foraine par laquelle avait pris notre guide ; celui-ci marchait devant nous en sifflant l’air de la Biche blanche qu’accompagnaient les grelots de l’attelage ; tout à coup il se tut, et nous le vîmes s’arrêter. Lorsque nous l’eûmes rejoint, le Provençal lui demanda ce qu’il y avait.

— N’entendez-vous pas ? dit-il en indiquant avec son fouet le côté droit du coteau que nous longions. Nous prêtâmes l’oreille ; des aboiemens éloignés arrivèrent jusqu’à nous avec les rafales de neige.

— On dirait une meute ! s’écria le Provençal ; quel est le veneur damné qui pourrait battre l’estrade par un pareil temps et à une pareille heure ?

— Je ne vois que le chasseur blanc, répliqua le postillon avec un peu d’inquiétude ; ils disent dans le pays qu’il choisit toujours la neige pour giboyer. J’avais bien cru l’entendre déjà ; mais jamais ses chiens n’avaient donné autant de voix qu’aujourd’hui.

Je demandai des explications sur le chasseur blanc, et j’appris alors que c’était le meneur de meute fantastique appelé en Allemagne le Wildgrave de Falkemburg ; en Écosse, la Mesgnie Hallequin ; en Angleterre, le piqueur noir ; en Bretagne, le prince Artus ; en Touraine, le roi Huron ; à Fontainebleau, le grand-chasseur ; dans la Franche-Comté,

  1. Sorcier campagnard que l’on consulte dans le Midi pour éloigner les renards.
  2. Saint Plouradou est un de ces saints inventés par l’imagination populaire, comme saint Lâche, sainte Adresse, etc. Tous les détails qui précèdent expriment des superstitions ou des usages du Midi. Les pierres de petite vérole sont ces instrumens connus des antiquaires sous le nom de haches celtiques. Comté, l’homme sauvage ; dans le reste de la France, saint Hubert ou le veneur Caïn.