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vu le harin[1] amignonné de sa main comme les chevaux de foire du Bessin.

— Faut pas mettre Guillaumet en colère ! reprit la fileuse qui n’avait rien entendu de ce qu’on venait de dire et qui continuait sa pensée ; les lutins ne sont pas chrétiens, vois-tu, fioulle, et ils n’ont pas appris à pardonner.

— La grand’mère en aurait-elle fait l’épreuve ? demandai-je, curieux de provoquer la confidence de la vieille femme.

Toinette lui transmit ma question.

— Pas moi, pas moi, répondit-elle ; quand Guillaumet était de méchante humeur, qu’il semait les cendres sur le plancher ou jetait des pailles dans le lait, je ne disais mot, et il reprenait son bon caractère. Ah ! ah ! ah ! avec les farfadets c’est comme avec les maris, il faut laisser passer le nuage. L’ondée finie, ils sont pris de honte, et, pour racheter chaque goutte de pluie, ils vous envoient trois rayons de soleil.

Je demandai s’il n’y avait aucun moyen de chasser le lutin quand on en était las.

— Aucun, répondit la vieille en secouant la tête ; ce sont des serviteurs qui restent par malice quand ce n’est plus par amitié. Demandez plutôt au meunier du vieux moulin.

J’interrogeai du regard Toinette, qui dit à la fileuse de raconter l’histoire du meunier.

Il n’y a pas d’histoire, reprit la vieille ; la chose a été connue dans le temps de toutes les paroisses qui font moudre sur Hérouval. L’homme du vieux moulin s’était mis en guerre avec son farfadet, de sorte que celui-ci le tourmentait à lui seul autant que trois huissiers. Quand le soleil mettait les mares à sec et que la rivière, comme on dit, montrait toutes ses dents, le lutin profitait de la nuit pour ouvrir les vannes et laisser couler les réserves d’eau. Si le meunier levait ses meules, vite il prenait les marteaux pour les repiquer à rebours. Souvent il attachait des pierres à la grande roue, qui ne pouvait plus tourner ; d’autres fois il mêlait dans la trémie le seigle avec le froment ; enfin, l’homme du vieux moulin arriva si bien au bout de sa patience, qu’il voulut se délivrer à tout prix. Le farfadet dormait d’habitude au fond des sacs de blé de mars, couché sous la farine blutée comme dans la mousseline. Une nuit donc, le meunier se leva sans rien dire, chargea tous les sacs sur son âne et alla les vider à la rivière. Quand la dernière poche de mouture fut à l’eau, il poussa un soupir de soulagement en pensant que, s’il avait perdu pour cent écus de farine, il avait du moins noyé son ennemi ; mais, au même instant, une petite voix cria à ses côtés : « Voilà

  1. Haria, petit cheval.