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ton insinuant ; vos amoureux plantaient des mais garnis de rubans devant vos portes ; on faisait danser des rondes d’épreuve aux nouveaux venus pour savoir s’ils étaient braves ; vous aviez de belles veillées où les anciens apprenaient le moyen d’échapper aux sorciers et de se faire bien venir des bonnes filandières.

Le rouet de la vieille femme s’était arrêté ; elle écoutait la voix de l’enfant comme si elle eût entendu la voix même de sa jeunesse. Les rides de son visage s’agitaient et semblaient sourire, ses paupières s’entr’ouvraient, l’œil éteint cherchait la lumière. Nous regardions avec une curiosité étonnée cette espèce de résurrection que venait d’accomplir la parole de Toinette. La vieille femme porta la main à son front comme pour se rappeler, et ses doigts se mirent à jouer avec une mèche de cheveux blancs que ses coiffes laissaient échapper. Il y avait dans ce geste rêveur je ne sais quelle réminiscence de jeune fille dont je fus ému.

— Oui, oui, murmura la fileuse, qui semblait parler tout haut, à la manière des enfans ou des vieillards ; comme le pays était beau alors ! et quelles gens affables ! Toujours un sourire quand on passait, et : — Bonjour la grande Cyrille ! bonjour la jolie fille ! Ah ! ah ! ils savaient vivre dans ce temps-là ! Et pourtant Gertrude et moi nous étions les plus recherchées. Pauvre Gertrude, qui devait finir si tristement ! Mais aussi son frère avait déniché sous le toit la poule de Dieu (l’hirondelle), et elle avait écrasé le cri-cri (grillon) de la cheminée. Quand on fait du mal aux petites créatures qui vivent sous notre protection, les bons anges pleurent et quittent le logis.

Ici, la voix de la grand’mère devint plus basse, elle continua quelque temps, en mots inintelligibles, sa divagation rétrospective ; puis nous l’entendîmes qui parlait du rêve Saint-Benoît.

— N’est-ce pas lui, grand’mère, qui fait voir en songe l’homme qu’on épousera ? demanda Toinette.

— Je l’ai vu, moi, reprit la vieille en souriant d’un air de triomphe ; mais j’avais suivi toutes les prescriptions. La chandelle éteinte, j’avais mis mon pied nu sur le bord du lit en prononçant les quatre vers d’appel, et je m’étais couchée sans penser à rien autre chose qu’à celui qui devait dormir sur mon oreiller. Aussi, vers le milieu de la nuit, j’ai vu clairement en songe Jérôme, le postillon d’Achy.

— Et quand faut-il faire l’épreuve, grand’mère ? demanda Toinette avec un intérêt attentif qui trahissait déjà de vagues souhaits.

— La veille de Noël, répliqua la fileuse ; mais, pour réussir, il faut n’avoir contre soi ni fée, ni esprit, sans quoi ils rompent l’appel. Voilà ce qu’ils oublient tous maintenant, vois-tu, fioule ; ils ne savent pas que les esprits sont partout, sous toutes les figures, pour éprouver notre bon cœur ou notre méchanceté. Si on veut être sûr de ne pas les mécontenter,