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avec un soin vigilant ; elle a jeté au loin les rayons actifs de son pouvoir, comme l’araignée jette et attache ses fils : elle a travaillé sans relâche à ce tissu colossal, à cet accroissement démesuré. C’est quelque chose de profondément douloureux pour un Français que l’examen parallèle de ces deux conduites, si fécondes en enseignemens redoutables : — ici la puissance souveraine de la loi et de la discipline ; — là les fautes innombrables auxquelles nous devons notre décadence, et dont la première est notre asservissement niais devant les rhéteurs, la seconde notre incapacité à subir la discipline qui fait les grands peuples, la dernière notre impuissance à aimer la loi, qui est le symbole actif de la justice, l’ordre divin dans les choses de ce monde. L’amour de la loi et de la tradition s’est conservé en Angleterre, et, grace à cet amour, la race anglo-saxonne a jeté ses colonies sur le globe. La ceinture que ces colonies tracent autour de notre planète commence à la presqu’île de Banks, passe par ; l’Australie, l’Hindoustan, le cap de Bonne-Espérance, Sainte-Hélène, Sierra-Leone, Gibraltar ; puis, traversant l’Atlantique, par la Trinité, la Jamaïque, les Bermudes, atteint l’Amérique du Nord et touche au pôle ; par l’île Melville : tel est le dernier résultat de cette paix intérieure et de ce travail gigantesque porté à l’extérieur par la race anglo-saxonne.

Les Normands d’Acadie, qui ne voyaient pas si loin et qui n’étaient pas de grands politiques, étaient de très bons Français, ce qui vaut encore mieux ; ils résistèrent vigoureusement. On ne put jamais les faire marcher avec les armées calvinistes ni les contraindre à se battre contre leurs frères, les Français du Canada : résistance sublime tout simplement ; notre histoire n’en parle pas. D’abord on fit venir un grand nombre de colons anglais, qui s’établirent en 1749 à Chibouctou, dont ils firent Halifax. Ensuite on attira par des primes et des concessions de terres tous les aventuriers que l’on put séduire, dans l’espoir d’étouffer ou d’amortir l’esprit de cette race opiniâtre. Les plus cruels ennemis des Acadiens étaient les puritains de Boston, et à leur tête le philanthrope Benjamin Franklin, qui écrivait à l’un de ses correspondans de Londres : Jamais nous ne prospérerons, si l’on ne nous débarrasse du voisinage des Français. Chatham, alors ministre, homme d’un génie ambitieux et violent, comprit qu’il serait populaire à Londres, s’il frappait des Français catholiques et cédait aux obsessions de Franklin. Il donna l’ordre le plus odieux peut-être dont l’histoire politique fasse mention.

Le 5 septembre 1755, le son de la cloche convoqua de très bonne heure tous les habitans de la commune dans l’église de Port-Royal, qui fut bientôt remplie d’hommes sans armes. Les femmes attendirent au dehors, dans le cimetière. Un régiment anglais, baïonnette au bout du fusil, précédé de ses tambours, entra dans le lieu saint. Après un roulement,